DARA PUSPITA 1966-1968
Alors que dans de nombreux pays du globe, la pop anglo-saxonne est devenue un standard, à suivre, à imiter, à détourner parfois, l’Indonésie a décidé dans les années 1960 de boycotter cette influence, afin de préserver la musique locale, et de lutter contre l’impérialisme culturel occidental. Le président Sukarno décréta notamment une interdiction généralisée de participer à la Beatlemania, cette déferlante mondiale qui verra les chansons des Beatles reprises sous toutes les formes possibles, dans toutes les langues du globe. Quelques groupes indonésiens de l’époque s’étaient en effet inspirés de leur musique – et de celle d’autres groupes anglais comme les Shadows, ou américains comme les Byrds – et pratiquaient une forme de pop à guitare proche de ce style, tout en conservant des caractéristiques locales, et en adaptant les textes à la langue et au contexte indonésien. Deux groupes marqueront cette époque, l’un composé de garçons, Koes Bersaudara, les frères Koes (tous issus de la famille Koeswoyo), et l’autre composé de filles : Dara puspita, les filles-fleurs. Les deux groupes vont connaître un destin parallèle, se débattant contre la censure qui voulait éradiquer le rock'n'roll du pays, mais rassemblant un public de fans à travers toutes les couches de la population, principalement dans la capitale, Djakarta. Cette censure prit quelquefois des aspects quasiment absurdes. L’Indonésie se vit ainsi entraînée contre son gré, et très illogiquement, dans la guerre fraternelle entre les Beatles et les Rolling Stones. On ne sait ce qui a décidé le gouvernement de Sukarno à choisir les Stones comme étant les bons, dont les chansons étaient tolérées, et les Beatles les méchants impérialistes, dont les chansons étaient interdites.
Le groupe Koes Bersaudara fit les frais de cette subtile distinction et fut arrêté en 1965 par les autorités. Ils passèrent plusieurs mois en prison pour avoir interprété une chanson des Beatles, avant d’être libérés, le jour précédent le coup d’état qui renversa le régime en place. Ils racontent cette expérience dans leur chanson « Di Dalam Bui », sur leur album To the So-Called “The Guilties”, réédité aujourd’hui par le label Sublime Frequencies, couplé à l’album Djadikan Aku Domba Mu. Le groupe Dara Puspita, lui, se soustraira à ce traitement, et connaîtra une certaine popularité dans le pays ainsi qu’aux alentours, en Thaïlande ou en Malaisie. Pourquoi le groupe a réussi à échapper au radar des censeurs reste un mystère. Une explication tient sans doute au fait que le groupe était relativement récent à Jakarta, comparé aux frères Koes, et qu'il n'avait pas encore enregistré de disque. Leur premier album Jang Pertama (« le premier ») a été réalisé en 1966. À cette époque, la situation politique en Indonésie avait changé et le rock'n'roll avait dorénavant droit de cité. On retrouve sur cet album les mêmes influences anglo-saxonnes et quelques morceaux directement inspirés de groupes occidentaux. « Satisfaction » des Rolling Stones est ainsi repris dans leur titre « Mary-Mary », et « Glad All Over » du Dave Clarke Five dans « Tanah Airku ». Les deux groupes poursuivront ensuite leur carrière, Koes Bersaudara – rebaptisé entre temps Koes plus, depuis l’adjonction d’un nouveau membre sans lien de parenté avec les autres – devenant le groupe indonésien le plus populaire des années 1970, et Dara Puspita se lançant en 1968 dans une tournée européenne incluant des pays comme l'Angleterre, la France, la Hollande, la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et la Hongrie, jusqu’à la dissolution du groupe en avril 1972.
Benoit Deuxant