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Pointculture_cms | critique

Meurtre, luxe et volupté : « Death on the Nile », un film de Kenneth Branagh

Death on the Nile
Après « Le Crime de l’Orient-Express », Kenneth Branagh endosse à nouveau le rôle d’Hercule Poirot, dans une histoire d’amour, de jalousie et de meurtre qui l’entraîne sur le Nil en 1937 avec la jet-set de l’époque.

Non, vous ne vous êtes pas trompés de salle : même si le film commence en noir et blanc pendant la Première Guerre mondiale, dans les tranchées d’Ypres, et en français, il s’agit bien de Mort sur le Nil. Ce prologue a pour but d’expliquer l’origine de la moustache du célèbre détective Hercule Poirot (Kenneth Branagh, aussi réalisateur du film) né à Spa (ou est-ce Ellezelles ?), personnage créé par la prolifique Agatha Christie, ainsi que de donner une raison à son célibat des années plus tard. Ces éléments ne sont pas dans le roman, et l’histoire contée dans le film prend quelques autres libertés. Tout tourne cependant autour du triangle amoureux que forment Jacqueline de Bellefort (Emma Mackey), abandonnée par Simon Doyle (Armie Hammer) au profit de l’immensément riche Linnet Ridgway (Gal Gadot), et du meurtre de cette dernière sur un bateau de croisière descendant le Nil.

Mais les soupçons ne portent pas uniquement sur eux. Il y a pléthore de personnages, certes moins que dans le roman. Certains ont été modifiés ou condensés en un seul rôle : tout d’abord, il y a Bouc (Tom Bateman), le jeune ami de Poirot, déjà présent dans Murder on the Orient-Express, accompagné cette fois-ci par sa mère, une artiste peintre très protectrice de son fils (Annette Benning) ; l’avocat et administrateur des affaires de Linnet, Andrew Katchadourian, est un ami d’enfance, il est joué par Ali Fazal, d’origine indienne ; la romancière Mrs Salomé Otterbourne (Sophie Okonedo) a changé de métier et d’origine : elle est devenue une chanteuse de blues afro-américaine (ses chansons rythment d’ailleurs le film), accompagnée de sa nièce (et non de sa fille) (Letitia Wright). Ces derniers cochent d’ailleurs la case « diversité » du film. Le film rassemble également Russel Brand (le docteur Linus Windlesham), Rose Leslie (la femme de chambre Louise Bourget), ainsi que le duo comique anglais Jennifer Saunders et Dawn French (Marie Van Schuyler et Mrs Bowers, son infirmière).

Dans cette version du film, tout est plus grand, plus beau, plus luxueux, plus érotique, plus extrême. A commencer par les décors. En effet, pas une scène n’a été tournée en Egypte, ce qui aurait plu à Bette Davis qui, suite à son rôle dans la version de 1978 (qui avait emmené les acteurs pour un long séjour sur place), avait déclaré : « Dans l’ancien temps, on aurait construit le Nil pour vous. Aujourd’hui, les films se sont transformés en récits de voyage et les acteurs en cascadeurs. »* Ici, le site archéologique d’Abu Simbel a été reconstitué en plâtre et polystyrène près de Londres, l’Hôtel des Cataractes reconstruit dans les studios de Longcross en Angleterre et surtout, un bateau grandeur nature a été assemblé sur le modèle des anciens navires qui descendaient et remontaient le Nil dans les années 1930 et mis sur les rails de train qui avaient déjà servi pour Le crime de l’Orient-Express (et qui n’a donc jamais vu l’eau). Toutes les images évoquant l’Egypte ont été ajoutées en post-production (merci au développement des effets spéciaux depuis les années 1990).

Le réalisateur Kenneth Branagh s’est adjoint les services du costumier Paco Delgado qui a recréé une garde-robe inspirée par le magazine Vogue de l’époque, qui chaque année publiait un article consacré aux vêtements à porter lors d’une croisière, mais aussi par des films comme Double Indemnity et Dial M for Murder. La plupart des matières sont très fluides, tout particulièrement chez les femmes qui portent des robes en satin qui révèlent les formes, mais il y a aussi des ensembles plus adaptés aux températures tropicales, dans les tons clairs. Il a par contre quelques robes qui sont clairement inspirées par des films plus modernes comme Body Heat et Fatal Attraction (tous deux cités par Branagh lui-même comme source d’inspiration), apportant un look très années 1980 et surtout très (trop ?) sensuel. Quant aux hommes, certains de leurs costumes sont dans l’esprit de l’époque, mais d’autres donnent une impression très contemporaine. Le collier de perles subtilisé à un moment (et jouant un rôle moins important dans cette version-ci que les précédentes) est ici remplacé par un bijou d’un luxe excessif, le célèbre diamant jaune Tiffany déjà porté par Audrey Hepburn pour promouvoir le film Breakfast at Tiffany’s. Et malheureusement, les coiffures, tout particulièrement celle de Jacqueline de Bellefort dont les mèches rebelles n’ont jamais vu un bigoudi ou un fer à friser, et le maquillage, sont trop contemporains pour évoquer les années 1930. L’actrice Emma Mackey (connue pour son rôle de Maeve dans Sex Education) n’a vraiment pas l’apparence d’une femme fatale des années 1930.

L’amour, la jalousie et la cupidité sont au centre du roman d’Agatha Christie ; Kenneth Branagh rajoute une sexualité exacerbée dans le but de rajeunir l’histoire et d’attirer des spectateurs différents, moins âgés. Ce n’est pas sûr qu’il réussisse. La sortie du film a été maintes fois reportée depuis le tournage, à cause de la pandémie, et entre-temps, une accusation d’abus sexuels a terni la réputation d’Armie Hammer. Contrairement à d’autres films, il était impossible de tourner à nouveau les scènes où il apparaissait et les studios ont décidé de garder le film tel quel, espérant que le public ne boude pas le film à cause de cela.

Death on the Nile est un film à grand spectacle, certes très divertissant, mais marqué par trop de luxe, trop de lascivité, trop d’attention au tragique, trop d’effets. Il manque la dose de mystère et d’exotisme un peu désuet de la version de 1978 et on n’y retrouve plus vraiment l’esprit des romans d’Agatha Christie. Rien de nouveau dans ce commentaire, c’était déjà le cas pour Murder on the Orient-Express du même réalisateur qui accumulait explosions et plans trop rapides. Mais si c’est ce qui vous attire, vous serez comblés !


*« In the older days, they'd have built the Nile for you. Nowadays, films have become travelogues and actors stuntmen. » Bette Davis, via Wikipedia


Death on the Nile, un film de Kenneth Branagh

Etats-Unis - 2022 - 2h07


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Getty Images / Disney Belgium


Death on the Nile

Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 7 février 2022, distribution Disney Belgium

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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