Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

DANS L'OUBLI DU SOMMEIL / BRAND NEW WORLD

publié le

-

La pochette de ce double CD reproduit une peinture de l’artiste flamand Pol Bonduelle. On y voit une main rouge qui se dirige vers une sphère représentant le Monde; toute une symbolique qui peut laisser
présager du contenu. À la première écoute de l’ensemble, ce qui frappe c’est la grande qualité du travail de son qui confère aux cordes et aux chants une couleur envoûtante. Cette prouesse a été réalisée par Michel Van Achter, fondateur du jeune label liégeois Homerecords.be.

Les seuls fils qui relient les deux volets de ce diptyque sont le jeu et les compositions du musicien belge Didier François, instigateur du projet. En effet, chacun des disques possède une démarche propre et mérite une attention particulière. Commençons par l'album Dans l’oubli du sommeil qui consacre le talent conjugué de deux artistes en harmonie complète. À l’instar des fourmis, Gilles Chabenat (vielle à roue) et Didier François (nyckelharpa et violon) n’ont qu’à connecter leurs antennes pour rentrer en communication absolue. Ces deux têtes chercheuses se sont trouvées il y a de ça dix ans et n’ont eu cesse de se donner rendez-vous. Pour la première fois, ils présentent, en duo, onze instrumentaux qui rivalisent d’audace et d’ingéniosité. Nourri de folk, de classique ancien et contemporain, et d’aventures expérimentales, le duo propose une musique très personnelle qui a digéré et dépassé ses influences. Déjà, les titres ( Le vieux corsaire de Flandres, Ubac, Le vautour philosophe) chatouillent notre curiosité qui se voit récompensée par l’éclectisme du répertoire. Uniques références claires à la tradition, deux airs intemporels suédois ont bénéficié des retouches de ces frères de claviers. Les six compositions de Didier François sont des pièces méditatives dans la lignée d’Arvo Pärt ou encore des paysages sonores où les mélodies subtiles demandent qu’on les apprivoise. Elles nous pénètrent lentement et profondément. Et puis, il y a ces deux morceaux plus déconstruits composés par Gilles Chabenat qui apportent une bouffée d’air psychédélique. On reste sans voix devant la palette de timbres que ce magicien arrive à tirer de sa vielle à roue électroacoustique. Par moments même, il installe une rythmique qui peut faire penser aux orgues à bouche de l’Asie du Sud-Est. Nyckelharpa et vielle se marient à merveille pour offrir un bouquet garni de résonances sympathiques. S’écartant des racines traditionnelles sans les renier, François et Chabenat portent aux nues une musique hypnotique à souhait.

Plutôt qu’un dialogue, Brand New World est la résultante de deux univers imbriqués : celui de Didier François (méditatif et cinétique) et celui de Gabriel Yacoub (symbolique et alchimique). Ayant tous deux grandi dans un terreau de musiques traditionnelles, les compères se comprennent. Ils se respectent et savent se mettre au service de la musique de l’un et de l’autre. Au verso de l’objet, on nous prévient. Il s’agit ici de nous initier à un Monde tout neuf et de l’invoquer en louant le brut de la nature et le vrai des éléments. Entre six poèmes chantés de Yacoub, Didier François pose des ponts et des pauses musicales, entrelacs savants de pistes de violon et de nyckelharpa. On peut y entendre, en filigrane, une plainte sinueuse typiquement yacoubienne (La tectonique des plaques esthétiques), une flopée polyglotte de mots bleus et éthérés (Bleu) et une envolée de voix de tête (Pour la terre). Dans les chants qui font directement penser aux ballades a capella de Malicorne, les cordes arrivent, sans chahuter, à se frayer un chemin porteur. La voix douce-acide de Sylvie Berger et celle profonde de Tom Theuns, le chanteur d’Ambrozijn, viennent enrichir le spectre sonore. Les décalages et les respirations rythmiques, les changements de timbre ainsi que les nappes de chœur formant des accords à l’heureuse dissonance apportent une dimension complexe à l’ensemble. Seul le sorcier Yacoub détient le secret de ces polyphonies atypiques. Quant aux textes, ils s’inspirent des procédés utilisés dans les chansons traditionnelles: répétitions, refrains incorporés, réponses… Le contenu fait la part belle aux croyances populaires d’hier (Salamandre), à l’alchimie (Le grand rouge) ou encore à une certaine forme d’onirisme émanant de la nature et de la faune (Le brochet). Comme dans son album Quatre (1994), Yacoub fait constamment référence à la symbolique des éléments. Fire & Rain et Vois mon enfant en sont les exemples les plus directs. Trempée dans la source malicornéenne, la plume du poète a su transcender ce type de répertoire, le réinventer sans en trahir l’essence (les sens). Car, depuis la dissolution de Malicorne, Yacoub a fait son chemin d’auteur, ciselant un langage singulier qu’il porte mieux que quiconque de son phrasé unique. Sa voix aussi a évolué: elle fait remonter l’émotion de plus loin. On sent l’homme derrière, ses passions, ses cris, ses blessures et ses rides. Provoquée par ce diable de Didier François, cette rencontre passionnante est une réussite totale et inattendue. Le renard a fait sortir le loup de sa tanière. Ils ont remonté ensemble la rivière jusqu’à la source, évitant les sentiers tout tracés. Les airs et les chants qu’ils ont pu rapporter dégagent une poésie originale où croyances et symboles œuvrent pour une harmonie entre les hommes et leur environnement. [retour]

 

Discographie de Didier François à la Médiathèque

- Didier François & Philip Masure, Duo, Map Records, 1999 - MN3897   
- Didier François & Alicantes, Didier François & Alicantes, Map Records, 1999 - MN3895
- Didier François, Falling Tree, Long Distance, 2001- MU6957
- Lévon Minassian & Armand Amar, Songs from a World Apart, Long Distance, 2005 - MV2086
- Armand Amar, Vu du ciel, Naïve, 2006 - YV9920  
- Soetkin Collier, Nocturne, Homerecords.be, 2007 - MN3837 

Dider François est connu comme le spécialiste belge du Nyckelharpa, instrument à cordes frottées, emblème de la Suède.

Voir aussi les portraits de Didier François, Gabriel Yacoub, Gilles Chabenat

 

Salamandre (Gabriel Yacoub)

Salamandre Mythique : Gros plan d'un médaillon de la Galerie François Ier (Alain Dutrevis)
L’espoir d’une braise au fond d’un lit de cendres
Un cœur bat froid et lisse
Et les écailles glissent
Sur l’espoir d’une braise au fond d’un lit de cendres

Dans tous les brasiers qui reviennent au même
Échappée du mystère
Au profond de la terre
Dans tous les brasiers qui reviennent au même

Sur le noir éclaté d’incendies volontaires
Étincelle reptile
Sinuée, fragile
Sur le noir éclaté d’incendies volontaires

© Éditions des Plantes 2007

La chanson Salamandre reflète bien la démarche poétique de Gabriel Yacoub. Ici, la salamandre doit être perçue en tant qu’animal mythique, symbole à la fois de chaleur et de froid. Les représentations d’antan lui donnaient une apparence reptilienne de dragon miniature, alors que chacun sait aujourd’hui qu'elle est de la classe des amphibiens. Elle avait aussi la réputation d'être totalement insensible aux effets du feu. La chanson la décrit d’ailleurs comme un « lézard incandescent » qui naît dans un chantier calciné par des incendies volontaires et destructeurs. Son sang est tellement froid qu’elle éteint ce feu mauvais. Mais la salamandre ici est aussi vue comme une étincelle porteuse d’espoir, symbole de renouveau. Dès lors, ce texte fait également référence au thème du phénix qui renaît de ses cendres. Cet oiseau fabuleux et la salamandre qui se nourrit de feu sont les deux symboles les plus communs du soufre incombustible et de la pierre philosophale des alchimistes.

 

SUGGESTIONS DE LECTURE


Didier Comès, La belette, Casterman, 1983.
L’atmosphère de Brand New World peut faire penser aux romans dessinés de Didier Comès. Dans La belette, où il est question de sorcellerie et de rites en Ardenne, on retrouve, entre autres, la symbolique qui entoure la salamandre.

Pierre Laszlo, Le Phénix et la Salamandre, Histoires de sciences, Le Pommier, 2004
Pierre Laszlo, chimiste et hommes de lettres, démontre ici que la science fait partie de la culture. La question à laquelle il répond dans cet ouvrage peu commun est : "Quel rapport entre le phénix, oiseau solaire, la salamandre, bête étrange au sang glacé réputée résister au feu, et l'histoire des sciences ?". L'auteur met en exergue, par exemple, les relations entre la chimie et l'alchimie, le rapport entre le palmier dattier et le mercredi des cendres et la transformation de la terre glaise en catalyseur. [retour]
Guillaume Duthoit


LE NYCKELHARPA : Voir instruments de musique

nyckelharpa

 

 

CHRONIQUES

Classé dans