SOLAR LIFE RAFT
Réaliser une compilation, et à plus forte raison une mixtape comme celle-ci, est avant tout un travail de curateur. Comme pour l’organisateur d’une exposition qui doit établir une sélection puis agencer des séquences, des juxtapositions entre les œuvres choisies, la partie créative de la besogne est justement dans le dialogue qui s’établit entre les pièces, dans ce qui s’exprime entre elles, ce que l’intervalle entre chacune vient ajouter à ce qu’elles racontent seules. C’est l’occasion de proposer quelque chose de plus, un discours, un éclairage différent sur ces pièces isolées, en les sortant justement de cet isolement pour les replacer dans une perspective plus large, que ce soit une chronologie, une thématique, un lien affectif, une comparaison ou une association. C’est l’essentiel de ce que fait Dj/Rupture depuis des années, à travers ses disques, ses mixes, son blog, ses émissions de radio sur WFMU.
C’est dans cette capacité à composer des rapprochements, des conjugaisons qu’il excelle, et dans son aptitude à découvrir des combinaisons possibles entre des musiques aussi éloignées que la cumbia et le dubstep, la soca et le dancehall. En construisant un pont entre les genres, les styles, il élabore une nouvelle narration, une manière de raconter la musique, de lui donner un nouveau contexte, qui constitue un des très beaux exemples du genre. Comme d’autres ont pu le faire avant lui, par écrit souvent, comme Jon Savage, Simon Reynolds ou David Toop, mais aussi en musique comme DjSpooky, il applique son savoir-faire et ses connaissances à passer au-delà des différences apparentes pour trouver au contraire des liens, des points de passages, et à dépasser les divergences des discours pour en faire les nuances d’un même propos.
Dans cet album réalisé en collaboration avec Matt Shadetek, son partenaire à la tête du label Dutty Arz, avec qui il avait déjà travaillé pour l’album de Jahdan Blakkamoore, le duo s’en donne à nouveau à cœur joie, dans les associations inattendues, les accolages imprévus, passant du dubstep de Cardopusher ou Stagga, à la pop de Telepathe ou Gang Gang Dance, via des outsiders comme Paavoharju ou Luc Ferrari. Les deux compères établissent une nouvelle vision de ce que l’on nomme, faute de mieux la bass music, une entité floue qui relie les déclinaisons du dub à travers les âges, tout en la dépassant pour y inclure d’autres approches sans que jamais l’amalgame ne semble forcé, ou l’alliance contre-nature. Plus que de simples enchaînements, les transitions qu’ils réalisent sont des ouvertures, des décloisonnements, des brèches dans les purismes et les clôtures académiques. Dans le cadre d’une musique aussi métissée, aussi hybride que la leur, c’est la démarche la plus progressiste et simplement la plus vraie, qui fait fi des replis identitaires et tient compte d’un contexte global élargi, dans le sens d’une augmentation, d’un enrichissement des horizons. C’est moins ici une question de fusion, de rassemblement, qu’une promenade à travers des paysages différents, mais tous reliés. Et comme une balade au grand air, c’est avant tout un ballon d’oxygène.
Benoit Deuxant