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Pointculture_cms | critique

MU, FIRST PART

publié le

LES DUOS TROMPETTE/BATTERIE 2 disques de musiciens émergents ( STEPWISE de Taylor Ho Bynum et Tomas Fujiwara & BOCA NEGRA du Chicago Underground de Rob Mazurek et Chad Taylor ) signés sur des labels de renom ( NotTwo et Thrill Jockey ) attirent […]

Deux ans plus tard en 1969 Don Cherry et Ed Blackwell les compagnons des premières heures d'Ornette Coleman (album FREE JAZZ entre autres) remettent le couvert et enregistrent à Paris un double album en duo suite à un voyage au Maroc. Dans un registre plus posé que leurs prédécesseurs Coltrane/Ali, les deux compères signent un album décomplexé, exploratoire et aventureux. Don Cherry, le musicien de le « mélodie spontanée » investie aussi bien sa trompette de poche, ses flûtes, le piano ou encore le chant. Ed Blackwell élabore quant à lui un matelas arythmique de roulements de toms-caisse claire-cymbales, jeu typique des batteurs free qui émergent dans les années 70 : on a l'impression que le musicien entretient sans répit la vibration de toutes les surfaces de sa batterie. Jeu volumineux qui reste toutefois très subtil et délicat permettant de multiples accroches dans les discours improvisés.

 

 

Les duos trompette/batterie

La formule trompette/batterie est plutôt rare en fait dans l'histoire du jazz. On trouvera beaucoup plus de duo saxophone/batterie. La trompette nécessite en effet plus de souffle et de pression que le saxophone et constitue un instrument plutôt astreignant comparé au saxophone. Les trompettistes s'aventurant dans les expériences en duo devront pallier les contraintes techniques inhérentes à l'instrument avec un jeu plutôt en accroches, rebonds, colorations éparses et bribes de mélodies. D'où un jeu moins exalté et tonitruant.

Le mot « trompette » est le nom générique pour « dire vite » et définir tout ce qui présente une embouchure, un tube de laiton roulé sur lui-même, 3 pistons et un pavillon. Cette branche des cuivres présente toutefois différents modèles. A l'origine il y a le cornet (homophone du bugle, flugelhorn en anglais). C'est l'instrument des bands de la Nouvelle-Orléans. C'est au cornet que Louis Armstrong débute par exemple. Puis la trompette au timbre plus brillant supplante le cornet pendant l'ère bebop et cool (années 50). On redécouvre le timbre plus doux et moelleux du cornet début des années 70 avec l'émergence du free-jazz. Et pour cause le cornet permet en effet une plus grande vélocité et rapidité d'exécution que la trompette. Les musicien free d'une manière générale le préfèrerons donc.

Le seul duo effectif trompette/batterie de ce podcast est le duo Lester Bowie et Phillip Wilson. Tous les autres sont des duos cornet (et autres instruments)/batterie-percussions.

 


Les influences de la musique indienne traditionnelle

L'écoute et l'ouverture de certains musiciens jazz aux musiques traditionnelles du monde entier vont constituer le terreau de certaines mutations en cours durant les années 60. L'observation de musiques ancestrales mettant en scène un souffleur et un percussionniste vont faire germer l'idée d'introduire la formule dans la sphère jazz et c'est probablement à l'écoute des musiques indiennes (en duo entre autres) que germera dans l'esprit de John Coltrane l'idée d'enregistrer en formule duo. Il écoutait comme le souligne bon nombre de ses biographies beaucoup de musiques traditionnelles indiennes et possédait une grande collection de vinyles sur le sujet.
Outre le fait de présenter une diversité foisonnante tant au niveau de la forme que de l'instrumentarium, les musiques traditionnelles indiennes entretiennent un rapport particulier à l'improvisation ce qui va interpeller bon nombres de musiciens jazz. C'est le cas pour Don Cherry très influencé par les chants Druphad (expression musicale classique la plus ancienne de la musique de l'Inde du Nord, improvisation dans les modes mettant en scène la plupart du temps un chanteur accompagné d'un joueur de tablas). L'improvisation pour Don Cherry résonne comme une manière d'être au monde, une façon de vivre.

 

 

La nébuleuse free-jazz : mutations & hybridations

L'évolution du free-jazz va s'opérer de manière rhizomique à partir de son émergence au début des années 60 suite à l'album FREE JAZZ d'Ornette Coleman. On va assister à l'apparition de nouvelles formations insolites et jamais entendues dans la sphère jazz (le cas du duo par exemple comme expliqué ci-dessus). Les musiciens vont commencer à graviter comme des « électrons libres ». Cette tendance existait déjà dans le cadre des jam-sessions mais la différence maintenant c'est que les musiciens ne vont plus reprendre des bases connues (standards) mais s'adonner à de joyeuses improvisations collectives.
Cette mutation des formations va induire aussi une mutation au niveau des pratiques et hybridation de l'instrumentarium. Il sera de moins en moins rare de rencontrer par exemple des percussionnistes affublés de toute une série d'accessoires leur donnant accès à une palette de sons plus large, plus riche et parfois improbable. Recherches de textures pour certains, exaltation et tonitruance pour d'autres, révolution identitaire, chassé-croisé entre compositions et improvisations : l'ébullition free-jazz va être un vaste laboratoire de recherches libératoires.
On va voir émerger différents courants. Les 2 principaux seraient grosso modo une veine liée aux musiciens vivants aux Etats-Unis (tonitruance & « black power » : Albert Ayler, Cecil Taylor, Ornette Coleman...) et l'autre à ce qu'on appelle l'improvisation libre en Europe (jeu plus abrupt et escarpé : Han Bennink, Derek Bailey, Evan Parker...). Mais tout ceci reste une nébuleuse largement perméable sans frontières.

 


Présentation des plages proposées dans le podcast

  1. « Keys no address » - Tomas Fujiwara/Taylor Ho Bynum STEPWISE (2010)
    « Keys no address » littéralement « clés sans adresse » aborde une thématique chère au free-jazz : mouvance sans port d'attache et inspirations errantes.
    Prise de son très free jazz années 70 : son sec et nerveux.
    Taylor Ho Bynum joue du cornet et Tomas Fujiwara joue de la batterie tout au long du disque. Analogie dans la façon de faire « mélodie spontanée » de Don Cherry.
  2. « Green Ants » - Chicago Underground (Rob Mazurek/Chad Taylor) BOCA NERGRA (2010)
    Rob Mazurek passe du cornet à la flûte, plus loin sur le disque il utilise un vibraphone : multi instrumentiste façon Don Cherry (+ plage n°3 « Broken Shadows » reprise du morceau d'Ornette Coleman). Influence et référence claire à Don Cherry.
    « Green Ants » littéralement « fourmis vertes » : la fourmi, insecte hybride et mutant par excellence comptant plus de 4000 espèces recensées sur la surface du globe, on rebondit sur le côté mutant du free-jazz.
  3. « Brilliant action » - Don Cherry/Ed Blackwell MU (1969)
    Une des premières trace enregistrée dans la sphère jazz d'un duo trompette/batterie. Jeu en tapis roulant, volumineux mais à la fois très subtil du batteur Ed Blackwell et illustration du tout le talent de Don Cherry comme « mélodiste spontané ».
  4. « Psycho Drama » - Don Cherry/Ed Blackwell MU (1969)
    Un exemple du jeu poly-instrumentiste de Don Cherry passant de la trompette à la flûte. Interlude au chant. Dans la seconde partie de l'album MU Don Cherry investie plus le piano façon Cecil Taylor.
    L'ensemble plutôt hétérogène et décomplexé du disque lui vaudra la présentation d'« album récréatif ».
  5. « Duet » - Lester Bowie/Phillip Wilson DUET (1978)
    Le seul duo effectif trompette/batterie de ce podcast.
    Jeu typique de batterie « free » des années 70. Sec et serré permettant de multiples accroches.
    Lester Bowie membre fondateur du Art Ensemble of Chicago (1968).
    Palette étendue de technique, très virtuose, jeu incisif. Brillant et clair.
    Lié à l'avant-garde, Lester Bowie était avant tout un défenseur des expressions populaires.
  6. « Lampigong » - Rajesh Mehta/Paul Lovens ORKA (1997)
    Tensions et colorations percussives.
    Paul Lovens est un bon exemple de ce genre de batteur qui s'entoure de multiples ustensiles pour élargir et enrichir sa palette sonore. Les notes de pochettes parlent de « selected & unselected drums and cymbals » (cymbales et percussions sélectionnées et non-selectionnées). Cf.: Milford Graves, Jérome Cooper, Hamid Drake, Han Bennink...
    Rajesh Mehta né à Calcutta émigre au U.S.A (élève de Braxton) et vit aujourd'hui à Amsterdam. Il joue entre autres de la trompette hybride (3 trompettes reliées par un tube plastique) offrant une palette de sons nouveaux : possibilités microtonales et bruissements subtils. Extension et hybridation (mutation) singulière de l'instrument. Intéressant.
  7. « Roots and Shooting Stars » - Chicago Underground (Rob Mazurek/Chad Taylor) BOCA NEGRA (2010)
    Autre exemple d'un batteur s'entourant de différents objets, ustensiles, instruments ou effets électroniques. Chad Taylor utilise ici une mbira (piano à pouce d'origine africain) et se sert des toms de la batterie comme résonateurs (plus amplification). Notes percussives agrémentées de nappes atmosphériques et douceur distordue à la trompette pour berceuse du futur.
    Les pieds sur terre ancrés dans les racines jazz et la tête dans les étoiles (le titre du morceau « Roots and Shooting Stars ») explorant les confins du cosmos. Nouveaux territoires sonores dixit INTERSTELLAR SPACE de Coltrane.
    Les mouvements du cosmos sont bien circulaires et non linéaires, en perpétuel renouvellement.
    La boucle est bouclée.

 


Discographie sélective de duos trompette/batterie

DUET

ORKA

CREAK ABOVE 33

AMERICA

GAME

SERPENTINE

 

 

 

 

 


D'autres pistes d'écoute

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