Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

ROMARIA

publié le

Répertoires anciens immergés dans les pratiques du présent

 

Répertoires anciens immergés dans les pratiques du présent

dpEssayez cela, essayez d’écouter ce Romaria sans rien savoir du Dowland Project, tentez de définir les sonorités, d’évaluer la texture de la voix, le rapport entre le chant et leur accompagnement instrumental, faites une enquête personnelle puisque pour une fois le contexte ne s’impose pas, collectez les indices, les émotions, les hypothèses, sondez l’impact et le terrain. Stimulante inquiétude, cette démarche défera l’écoute contemplative ou son contraire, l’écoute savante qui, parce que tant d’éléments étrangers s’y rencontrent (compositeur, interprètes, auditeur, états d’esprit, contexte historique, température de la pièce, etc.) n’est guère plus qu’une construction intellectuelle organisée en attention. Si, comme le suggère John Potter, maître d’œuvre du Dowland Project, la musique n’existe qu’au présent, autant se garder de conceptualiser le temps, d’y faire le vide prétendument en le comblant. Soyons concrets, soyons sensuels, voyons ce que la musique révèle ici et maintenant.

Romaria c’est une voix solitaire qui chemine le long d’un cours mélodique étal et profond. Le paysage évolue, les langues alternent entre l’allemand, le latin, l’espagnol, les instruments sont disparates, violon, alto, saxophone, vihuela, clarinette, guitare baroque, à chaque instant les composants, les climats changent et cependant c’est un seul flux, dense, compliqué, serré qui entraîne la voix dans son mouvement. Tantôt un détail suspend cette progression, une image se forme, une émotion, l’amorce d’une idée mais très vite l’esquisse se fatigue et s’abandonne à ce qui la porte sans effort. Tantôt c’est une singularité technique qui retient l’attention: inflexion soudaine du chant, long solo instrumental, annonce d’un événement, marque d’une hésitation… Puis tout retombe dans l’harmonie moelleuse, le particulier s’incline, renonce peut-être, à tel point que rien ne semble se dégager de cette œuvre à l’unisson sinon cette vague rêverie que produit, au fur et à mesure, l’émotion qu’elle engendre.

Toute subjective qu’elle soit, cette description reflète la démarche du Dowland Project. Sur une collection mélodique aléatoire et achronique – chants grégoriens, Carmina Burana, chants traditionnels – John Potter et ses acolytes visent non pas à reprendre, répéter ou rénover, mais bien à réinventer. L’imaginaire, leur éloquence, tiennent largement de l’improvisation. Le matériau d’origine renaît lavé de son histoire, de ses significations: c’est une partition quasi-vierge, un pur substrat musical sur lequel les instruments s’invitent avec élégance, dans une chorégraphie nuancée qui se plie à la primauté de la voix.

Dans cet ensemble chacun apporte son expertise : John Potter est chanteur et musicologue, John Surman se produit habituellement dans des groupes de jazz, Miloš Valent se partage entre musique classique et traditionnelle, Stephen Stubs se consacre aux instruments anciens. De ces univers particuliers ne subsistent que des traces. Sans références, sans échos, sans mémoire, ramenée à une dimension intermédiaire essentiellement négative, Romaria ressemble à la somptueuse reliure d’un livre qu’il reste encore à écrire.

Catherine De Poortere

 

logo

 

 

 

 

Classé dans