DOWN WITH THE SCENE
Planqué derrière un pseudonyme juvénile à haut potentiel interprétatif, Kid606 alias Miguel De Pedro est un Américain d’adoption – il est né à Caracas (Venezuela) en 1979, et a grandi à San Diego, en Californie du Sud. Entré dès sa prime jeunesse en musique, il est, à ses débuts, davantage sensible au chant les sirènes métallisées de l’extrême (death metal, indus metal, etc.) dont une bonne part fait également un usage intensif des machines et sonorités électroniques et roboratives. Puis, tel un gamin précoce et (légèrement) hyperkinétique, Kid606 multiplie les sorties (EP, singles, remixes) sur les labels les plus variés, dont le sien, Tigerbeat6, basé à San Francisco, qui héberge notamment The Soft Pink Truth et DJ Rupture, avant de sortir en 2000 ce plantureux second album sur Ipecac, auberge de l’exigeant Mike Patton (Fantomas, Tomahawk, etc.). Un disque de dix-sept titres d’une électro/drum’n bass bruitiste menée tambour battant, mais assouplie dans sa charge par un humour des plus caustiques qui prodigue régulièrement ses effets bien au-delà de leurs simples intitulés drolatiques. Ainsi, si l’explicite « Luke Vibert Can Kiss My Indie-Punk Whiteboy Ass » parodie le susnommé de très reconnaissable façon, et l’expéditif concassage de « It’ll Take Millions in Plastic Surgery to Make Me Black » (44 secondes chrono) est un clin d’œil (au beurre noir) à peine caché au second album de Public Enemy (It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back). Mais quand le Kid606 se met à imaginer une suite exclusivement sonore à Buffalo ‘66, le film de Vincent Gallo sorti deux ans plus tôt, il le fait en défiant au passage Aphex Twin sur son propre terrain verglacé (« Buffalo606, The Morning After »). De même avec « Kidrush » où il habille une rhétorique revendicatrice d’obédience riot girl d’une indestructible armature breakbeat plongée dans un bain de larsens. Au passage, il livre un « GQ on The EQ » qui sonne comme du Autechre livré tout cru à un bataillon de rappeurs. Même pas peur ! Plus subtil mais tout aussi maîtrisé, « Ruin It, Ruin Them, Ruin Than Ruin Me » est superbe de progression, passant d’un mode de reptation rythmique complexe sur terrain accidenté à une foulée tâtonnante au beau milieu d’un marais sonore d’où s’échappent de courtes bouffées synthétiques hallucinatoires. Bon diplomate, le DJ n’oublie pas d’ordonnancer une sorte de rengaine soul clicks & cut (« Secrets 4 Sale ») où Patton peut vocaliser à loisir mais sans exagération, et sur « For When Yr Just Happy To Be Alive », il montre qu’il est tout aussi convaincant sur une électronica posée et cinématique (dialogues samplés en sus), que déroutant quand il se lâche lors de brefs interludes frénétiques (« Hardcore »).
L’homme continue depuis à sortir régulièrement des disques bien qu’à une cadence nettement ralentie, et a enfin obtenu une large reconnaissance de ses pairs via ses relectures unanimement appréciées, mais ne jouit pas encore à ce jour d’un rayonnement artistique à l’égal des quelques électroniciens anoblis cités plus haut. Une reconnaissance que cette tête brûlée dont le dernier long format en date (Songs About Fucking Steve Albini) parodie explicitement l’ultime album de Big Black, première formation culte de l’ingénieur musicien emblématique du noise rock, semble se foutre comme d’une guigne ! Kid forever.
Yannick Hustache