MAISON CUBE
30 ans après sa séparation, Malicorne s'est reformé le temps d'un concert unique donné le 15 juillet 2010 aux Francofolies de La Rochelle. Un CD et un DVD immortalisent ces retrouvailles inespérées.
Le répertoire fut d'abord axé sur la veine polyphonique du groupe. Malgré quelques imprécisions, ces instants suspendus ont ravi le public. Si l’ensemble a retrouvé toute sa cohérence, c’est grâce au chant habité de Yacoub dont la voix s’est embellie avec le temps. Il faut dire qu'après Malicorne, il a mené une bien belle carrière d'auteur-compositeur-interprète, avec des albums aussi surprenants que Quatre (1994). Paradoxalement, c’est surtout au travers des ballades dramatiques « Pierre de Grenoble » et « L’écolier assassin » que le groupe a brillé ce soir-là. Mentions spéciales aussi pour le syncopé « Voici la Saint-Jean » et pour « La Conduite », mystérieux chant de départ des Compagnons. Un titre à regarder sur le DVD pour voir le batteur plonger ses poings dans un bac en bois rempli de noix afin d'évoquer la marche des Compagnons. Cette soirée réservait aussi son lot de surprises, avec la venue d'artistes qui se reconnaissent dans le travail de Malicorne : Claire Diterzi qui a dynamité « Les tristes noces », JP Nataf qui, au son de son banjo, s'est réapproprié « Quand je menais mes chevaux boire » et Tété qui a donné une version guitare blues de « La complainte du coureur de bois ». Des moments inoubliables qu'on ne retrouve que sur le DVD. Bref, Malicorne a réussi ce retour éphémère, rappelant au monde sa révolution artistique.
L’esprit novateur de Malicorne
Dans les années 1970, Gabriel Yacoub, Hughes de Courson, Laurent Vercambre et Marie Sauvet ont fait le pari fou de réinventer les chansons traditionnelles, faisant fi de l'avis de ceux qui condamnent le moindre écart vis-à-vis de la tradition. Au diable aussi les interprétations poussiéreuses – façon Guy Béart – de classiques du genre !
Pratiquant le collectage, ils ont fait resurgir nombre de perles. Mais, ils ont été bien plus loin, en explorant toutes les techniques de « recomposition » d’une chanson traditionnelle: assemblage d'extraits de chansons différentes, collage de paroles de certaines chansons sur des musiques d’autres personnes, mise en musique de textes, création de chansons dans le style traditionnel.
Le choix des textes revenait à Yacoub qui a créé un style en mettant en avant les paroles où il est question de superstitions, de croyances ou de malédictions.
Côté musique, le groupe s'est fait connaître par ses chansons a capella dont les arrangements complexes doivent autant aux polyphonies de la Renaissance qu'aux traditions vocales bulgare et corse. Ceci dit, Malicorne a eu recours, pour un bon nombre de chansons, à une instrumentation hétéroclite (guitares, basse, batterie, violon, vielle à roue, mandoloncelle, cromorne, épinette, nyckelharpa, ...). Le groupe s'est aussi spécialisé dans des ballades longues aux structures éclatées faisant la part belle à des séquences instrumentales très filmiques, défendant une certaine idée du folk progressif.
Dans le paysage du folk français, Malicorne a tracé une voie à part d'autant plus marquante qu'elle a su préserver la magie des mélodies et des textes populaires.
Une nouvelle « maison » pour Emmanuelle Parrenin
« La route est devant toi. Ne laisse pas la mousse envahir tes souliers »
Emmanuelle Parrenin a commencé par chanter la tradition avec des musiciens comme Jean-François Dutertre, Jean-Loup Baly ou Phil Fromont, apprenant sur le tas l'épinette et la vielle à roue. Petit à petit, elle s'est lassée de ce milieu qu'elle trouvait fort passéiste et s'est lancée corps et âme dans la composition. En 1977, elle a sorti Maison rose, un album aux charmes mystérieux devenu culte au fil du temps. Avec ce disque, elle a été la première en France à se plonger pleinement dans une démarche post-folk qui consiste, après avoir digéré tous les codes des chansons et des musiques traditionnelles, à livrer sa propre musique. Les compositions de cet album, naviguant entre musique traditionnelle, folk psychédélique et expérimentations électroacoustiques (bel apport du musicien et ingénieur du son Bruno Menny), possèdent l'aura du répertoire traditionnel tout en empruntant des parallèles oniriques et intemporels. Emmanuelle Parrenin a posé là les premières pierres d'un mouvement suivi par des artistes français tels que Gérard Delahaye (Le Printemps, 1978) ou Melaine Favennec (Chansons simples et chants de longue haleine, 1978).
Il a fallu attendre 34 ans pour que l'ensorceleuse revienne avec un disque de sa composition, le bien nommé Maison cube dont les textes ont été écrits par le chanteur décalé Flóp qui signe aussi deux musiques. Pas étonnant que la demoiselle se soit tournée vers un des fondateurs des Disques Bien. C'est qu'il règne, dans cette famille d'artistes ne vivant que pour réaliser du « bel ouvrage », une liberté créatrice semblable à celle déployée jadis pour Maison rose. Le choc des générations a réussi à redonner vie aux braises. Sur la voix toujours fragile, mais intacte de l'artiste, sa vielle à roue, son épinette, ses harpes et sa sanza, viennent se greffer naturellement les sons analogiques de Vincent Mougel et d'Étienne Jaumet, les percussions insolites de Cristián Sotomayor et les guitares électriques de Flóp. Si la cuisine musicale préparée dans cette maison cube rappelle par moments celle de la maison rose, il s'en dégage de nouvelles saveurs à apprivoiser. Quant aux textes de Flóp, ils nous emmènent ailleurs, ou plutôt, plus profondément dans le monde d'Emmanuelle.
C'est un bonheur précieux que de pouvoir croiser la route d'artistes qui savent effacer les frontières entre hier et demain. Profitons-en !
Guillaume Duthoit