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Pointculture_cms | critique

TAKE CARE OF FLOATING

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C’est un quartet américain (Kris Tiner, trompette, Jason Mears, saxophone alto, Ivan Johnson, contrebasse et Paul Kikuchi, batterie) qui carbure avec un duo français (Aurélien Besnard, clarinettiste, compositeur et Patrice Soletti, guitariste, […]

C’est un quartet américain (Kris Tiner, trompette, Jason Mears, saxophone alto, Ivan Johnson, contrebasse et Paul Kikuchi, batterie) qui carbure avec un duo français (Aurélien Besnard, clarinettiste, compositeur et Patrice Soletti, guitariste, improvisateur). La collaboration se conjugue en concerts, l’enregistrement d’une dizaine de compositions et l’animation d’un label fondé par Paul Kikuchi.

Comme quoi, créer de la musique est indissociable de la création de formes pour la défendre et en diffuser les idées. La dynamique de cette rencontre musicale ressemble à un métier à tisser dont la navette folle – comme on dit d’une locomotive qu’elle est follequand elle échappe à la prévisibilité des rails – tisse des motifs oniriques et décalés entre une pulsion jazz américaine avant-gardiste et une plateforme aventureuse des musiques improvisées européennes. La première écoute donne l’impression d’une belle fluidité solaire, sans prise de tête, d’un swing revenant, musclé dans sa canaillerie sans arrière-pensée. En y regardant de plus près, c’est plus cabossé, tortueux, accidenté et ingénieux qu’il n’y paraît. Les modules s’emboîtent, se réfléchissent, jouent avec les doubles fonds et doubles sens. La mécanique est très fine, experte à énerver en égarant les évidences : le sens ne se livre pas tel quel, le jazz vient toujours de plus loin et regarde ailleurs, fuyant pour la bonne cause. À l’instar de certains titres difficiles à éplucher : « Where It Was Of It Is » ou « To Be Ornette To Be »…

ecLe moteur initial reste l’improvisation alimentée par une belle attention flottante à une grande diversité de langages sonores, anciens ou nouveaux, aux différents destins jazz passés et futurs, aux autres ressources soniques comme celles du rock, attention aux vagues successives des formes expérimentales et aux manières qu’elles ont de se reproduire en s’assouplissant. Le groupe pratique cette lecture flottante que l’on dit être la caractéristique essentielle de l’écoute du psychanalyste capable d’entendre plus que ce qui se dit, de capter la vie souterraine organique des signes et symboles. Empty Cage ne pratique pas un jazz avant-gardiste, mais se situe à cette charnière essentielle où la bonne intelligence avec les pistes laboratoires permet d’en importer les audaces dans de nouvelles formes plus accessibles, plus « populaires ». Des musiciens doués, sensibles, qui font passer les innovations techniques, les nouvelles théories, les nouveaux standards sonores dans des formes plus accessibles et postulent de nouveaux courants mainstream. Dans cette fonction, ils font merveille, l’apport d’air frais est notable. Les enchevêtrements de timbres en petites phrases thématiques, la propulsion multidirectionnelle, toute colemanienne, des couleurs et structures plastiques à géométrie variable font dans la dentelle. Déplacements joyeusement explosifs. La coordination entre des repères stables et des développements déséquilibrés, par exemple une rythmique classique superbement incarnée par la contrebasse et les percussions enchanteresses soutenant une tirade enflammée, complexe et subjective d’un soliste (trompette, clarinette, saxophone, guitare), surprend et donne bien du plaisir. Le mariage est réussi, bien dosé, entre des savoir-faire soyeux, harmonieux et coulants et d’autres râpeux, hirsutes et véhéments, cassés et géniaux (saxophone ou guitare).

Les fils narratifs sont habilement charpentés, portés par un punch facétieux éclaboussant de pulpe, au débit haché menu, bègue magnifique ou traîné en phrases mâchonnées, ronchonnées, d’ombres et de poussières, prière douce qui déplie ses rubans de lueurs méditatives. Coups d’arrêt ou accélérations, embûches, douce adrénaline en jets saccadés, épisodes barges dans les coins, aubade et retour à la lenteur, avant de tout donner dans des cuivres déployés en lyrisme pointu, bavard et rageur, trompette et ivresse. Du très bon jazz malin, actuel sans choquer, traditionnel sans sentir le rance, où plusieurs générations peuvent se reconnaître.

Pierre Hemptinne

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