CALVAIRE
Marc Stevens (Laurent Lucas), chanteur pour hospices, arpente les maisons de retraite ardennaises dans sa camionnette pendant les fêtes de fin d’année. Lorsque son véhicule tombe en panne en plein milieu des bois et qu’il est recueilli par Bartel (Jackie Berroyer), l’aubergiste du coin délaissé par sa femme, son Calvaire commence…
Dès les premières scènes, Fabrice du Welz installe une atmosphère ambiguë et terriblement dérangeante: le chanteur de charme pour vieilles dames se fait honteusement draguer par l’une d’entre elles, puis par l’infirmière (Brigitte Lahaie). La sexualité sous-jacente ponctuera le récit à diverses reprises, mettant le spectateur de plus en plus mal à l’aise, car le réalisateur s’amuse visiblement à briser tous les tabous, surtout les plus choquants, et s’offre le luxe – ou plutôt l’inconscience – de les présenter de manière frontale, comme si l’absence de personnages féminins (ceux-ci désertent en effet le film au bout de quelques minutes) donnait à du Welz le droit de donner libre cours aux fantasmes les plus déviants.
Autant vous dire que ce film ne laisse pas indemne.
«Survival» de l’extrême, malsain et troublant, Calvaire se situerait, pour ce qui est du fond, dans un no man’s land à mi-chemin entre Délivrance de John Boorman et Misery de Rob Reiner.
La forme, elle, et bien plus étrange: s’éloignant à grand pas des figures académiques, Fabrice du Welz tâtonne, expérimente, s’essaye à plusieurs genre visuels. Certains lui ont d’ailleurs reproché ce manque de parti pris formel, mais c’est peut-être justement cela qui fait la réussite du film: si le cinéaste était resté dans une forme classique, l’histoire aurait certainement eu un impact complètement différent.
Car outre le duo formé par Laurent Lucas et Jackie Berroyer, l’un des grands points forts de Calvaire est son humour. Bien que noir, voire franchement de mauvais goût, il ne fait qu’ajouter au côté profondément dérangeant du film: après avoir quitté la salle en tremblant comme une feuille, je me suis surprise, dès le lendemain, à rire de bon cœur du spectacle auquel j’avais assisté. Un rire certes jaune et sans doute un peu nerveux, mais absolument sincère.
Catherine Thieron