Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

« Fire of love », un documentaire volcanique de Sara Dosa

Fire of love 1.png
Le vocabulaire amoureux dont fait abondamment usage la réalisatrice de ce très beau film renvoie à la passion qui anima les Krafft, un couple de volcanologues français tragiquement disparus en 1993. Les milliers d’images qu’ils ont enregistrées au péril de leur vie font l’objet d’un montage virtuose qui prend soin de laisser, intense et entier, le mystère des cratères bouillonnants et des vallées de flammes.
Les volcans c’est une espèce de lucarne à l’intérieur de la terre. — Katia Conrad Krafft

Par leur passion commune pour les volcans, Katia Conrad et Maurice Krafft ont incarné ce qui, dans la volonté de comprendre et de connaître, relève aussi, et peut-être même avant tout, de l’aventure charnelle. Leur histoire montre ce que, loin des mythologies où elles sont nées, les sciences naturelles conservent de frémissant et d’énigmatique qui appelle à s’approcher, à toucher, à ressentir au plus près un phénomène qui déborde toujours largement les facultés d’analyse et d’observation.

S’interroger, s’émouvoir, faire coïncider enquête scientifique et sentimentale, c’est également la démarche de Sara Dosa. Quel que soit le sujet qu'elle appréhende, c'est sous un angle anthropologique. Situé en Islande, son film précédent The Seer and the Unseen (La Voyante et l’Invisible, 2019), partait à la rencontre d’une grand-mère un peu sorcière dans sa manière bien à elle de prendre la défense de son île natale menacée par la finance. C’est en cherchant des images de volcans pour illustrer ce propos discrètement subversif que l’œuvre des Krafft est apparue à la cinéaste dans sa folle splendeur.

L’attrait du brasier prescrivit un destin de nomades au couple originaire de l'Alsace. Passant rarement plus de deux mois par an sur leur terre natale, ils préféraient s'endormir dans les secousses et les vapeurs irritantes. L'Etna, le Stromboli, l’Eldefell, le Nyiragongo, le Kilimandjaro, le Mount St Helens, le Nyamuragira, le Piton de la fournaise, l’Una Una, Deception, le Nevado Del Ruiz de sinistre mémoire, l’Augustine dans le froid de l’Alaska, Hawai, terre promise et le Kilauea, le Mona Loa, l’Ol Doinyo Lengai en Tanzanie et le tout jeune Navidad - un tableau de chasse qui s’interrompt brutalement en 1993, au Japon, au pied de l’Unzen.

Quoique violente et prématurée, les Krafft n'auraient pas souhaité d'autre mort que celle qui les surprit ensemble, debout l'un près de l'autre face à la montagne en rage. Quand on les interrogeait sur un métier qu’ils exerçaient avec une telle imprudence, ils ne pouvaient qu'acquiescer. Par ailleurs, ils avaient confiance dans leur sens de l'observation. Chaque volcan a sa propre personnalité, disaient-ils encore, il faut prendre le temps de les connaître. Impossible de ne pas s'approcher...Ça vous brûle, ça vous empoisonne, ça vous éblouit, ça menace de vous tuer mais c’est d’une beauté qui vous rentre par la peau et les poumons, avec la promesse de vous livrer le mystère des origines. Cette radicalité qui fut la leur, gourmande, généreuse et volontiers théâtrale n'en fit jamais d'austères athlètes du terrain. Le film les montre bons vivants, rieurs, enthousiastes mais lucides. Sans chercher à replacer leur travail dans une chronologie classique ni tenir compte des avancées de la science susceptibles de remettre leurs efforts en perspective, Sara Dosa et son équipe semblent n’avoir eu aucun mal à leur céder la parole, eux qui ont tant fait pour rendre accessible cette science encore jeune qu'était la volcanologie.

Les archives qui constituent le principal matériau du documentaire sont précieuses si ce n’est uniques. Parcourant le monde tout au long de l’année, partageant leur temps entre conférences et expéditions, le couple n’avaient qu’un seul objectif et c’était que leur séjour au cœur des éléments déchainés puisse être transmis. Bien qu'ayant renoncé à la carrière académique, Maurice était titulaire d'un DEA en géologie et détenteur d'un fond d'archives impressionnant, collectionnant tout ce qui avait trait à l'objet de sa passion : livres, œuvres d'art, films. Géochimiste de formation, Katia fut à l'origine du premier chromatographe, un analyseur de gaz portatif. Ainsi leur regard n'avait rien de celui du simple amateur. Seulement ils voulaient être libres d’arpenter la terre en prenant des risques. Les scientifiques qui préféraient rester à distance leur surent gré d'un apport conséquent de données et d'images d'une valeur inestimable, tant sous l'angle artistique que scientifique. Après eux, il n'y eut que les drones pour prendre la relève. Une machine aura-t-elle jamais l'intelligence d’un œil éperdu d’admiration ?

Outre des vues éblouissantes de coulées de lave, de cratères bouillonnants, de montagnes dévalées de fumées et de boues épaisses, le documentaire doit beaucoup à la voix qui l’anime. En lectrice idéale d’un texte qui, sans chercher à les combler, longe les vides pour en extraire une musique délicate et vertigineuse, Miranda July offre sa sensibilité d’artiste des choses graves et profondes dites avec une élégante légèreté.

Sur ce couple de scientifiques hors normes formé par Katia Conrad et Maurice Krafft, Sara Dosa pose un regard pénétrant. Le modèle du lien amoureux vécu au-travers d’une passion les désigne comme précurseurs d’une culture scientifique renouvelée mêlant expérience intime, connaissance théorique et attachement profond pour un objet d’étude qui affecte à son tour le chercheur. Ce type d’attention, il faut le dire, n’a rien à voir avec le vice romantique qui consiste à convertir un paysage en support émotionnel et réceptacle de subjectivité. A l’instar de ce que préconise le philosophe Baptiste Morizot, cette curiosité rêveuse faisant de tout être une voix entière, une piste à déchiffrer, se fraye un accès ému autant qu'exigeant vers le vivant. A cet égard, le film n’est rien de moins qu’un poème. Dans la langue des images, il prend acte d'un rapport poreux, fervent, risqué avec l'inconnu.


Fire of love, Sara Dosa

USA, Canada - 2022 - 1h33


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : © The Searchers


En complément, un documentaire de Maryse Bergonzat réalisé en 1993 offre un point de vue plus classique de la biographie des Krafft. La photographie est riche, assez semblable à celle de Fire of love. A la différence de Sara Dosa, Maryse Bergonzat donne légalement a parole aux parents des Krafft ainsi qu'aux scientifiques et journalistes qui les ont connus.


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 06 juillet 2022, distribution The Searchers

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Bruxelles : UGC Toison d'Or, Le Stockel, Cinéma Galeries

Wallonie : Rixensart Ciné Centre