Frances Ha, portrait d'une génération
Deux amies complices semblent vivre une jeunesse insouciante dans la ville de tous les possibles. New York s’est parée d’un charme à la parisienne, notamment grâce au choix du réalisateur, Noah Baumbach, de tourner en noir et blanc. C’est un clin d’œil aux films de la Nouvelle Vague, qu’il affectionne particulièrement. Cette relation presque idyllique entre les deux jeunes femmes est rapidement perturbée lorsque Sophie décide de déménager, laissant son amie Frances dans un appartement qu’elle ne peut payer seule. Un parcours du combattant commence alors pour l’héroïne qui n’a d’autre choix que d’enchaîner les colocs et les boulots précaires.
Frances est attachante, rêveuse, bordélique, idéaliste. Elle incommode par son énergie débordante et son côté loufoque. On s’identifie facilement à elle grâce à l’interprétation prodigieuse de Greta Gerwig, mais également parce que Frances, en dépit de sa singularité, porte en elle quelque chose d'universel.
Nous la rencontrons quelques années après ses études. Elle a choisi un parcours atypique (la danse contemporaine) et, durant quatre-vingt-six minutes, nous l’accompagnons dans un des nombreux tournants de la vie, celui du temps des décisions. Pour Frances, la question qui se pose concerne principalement son avenir professionnel (directement lié à son besoin d’argent). Peut-elle continuer à espérer intégrer la compagnie de danse pour laquelle elle est stagiaire depuis la fin de ses études (ce dont elle a toujours rêvé) ? Ou doit-elle capituler face à la pression que lui imposent les exigences de la vie quotidienne, en laissant de côté ses idéaux ? Il s’avère en fait que sa quête est bien plus vaste et plus profonde. Il s’agit, pour elle, de savoir si elle parviendra à devenir qui elle est véritablement.
L’extrait suivant cristallise probablement l’idéalisme qui guide le personnage tout au long de son cheminement. Lors d’un diner, Frances est entourée de couples bourgeois dont la stabilité de vie contraste en tout point avec la sienne. Elle s’est fait virer quelques jours avant et se voit contrainte de squatter chez la danseuse qui occupe sa fonction rêvée… Malgré la situation inconfortable, et avec une sincérité bouleversante, Frances parvient à toucher les convives en leur expliquant sa vision de l’amour. La magie de cette séquence réside dans le fait qu’elle nous révèle un aspect crucial de la personnalité de Frances : elle sait parfaitement ce qu’elle veut.
Frances Ha décrit exactement la société dans laquelle évoluent les jeunes à l’heure actuelle. C’est le portrait précis d’une réalité vécue par toute une génération, celle à laquelle j’appartiens. Frances et tous les personnages qui habitent le film font partie de mon quotidien : Frances, passionnée, que l’on pense crédule mais qui, tout compte fait, se donne les moyens pour parvenir à ses fins ; Sophie, sa meilleure amie, agrippée à son idéal de vie de couple et à l’espoir de grimper dans l’échelle sociale, mais qui ne semble pas pour autant être heureuse ; les colocs de Frances, Lev et Benji, véritables fils à papa qui, comme le fait remarquer clairement Sophie avec une pointe de jalousie, « peuvent se permettre d’être artistes à New York ». Tout ce petit monde se rencontre, se côtoie, s’entrechoque au détour d’une scène, au coin d’une réplique subtile évoquant le style de Woody Allen.
Finalement, le film permet de réfléchir sur ce que nous propose la société actuelle en nous livrant un message d’espoir. Être célibataire lorsque la vie semble être pensée pour deux. Vivre de sa passion, lorsque l’on est tenté par plus de confort. Devoir se montrer patient, lorsque l’on vit dans un monde instantané. Rester fidèle à soi-même, lorsque tous semblent nous prendre pour un fou.
Frances Ha dresse le portrait d’une génération, celle des Y. Les « why ? », en quête de sens, qui s’évertuent à trouver leur place dans une société impitoyable qui exige de la persévérance. Reste à savoir ce que deviennent les Frances, les Sophie, les Lev, les Benji en 2018 ? Parviennent-ils tous à leurs fins quels que soient leurs moyens ?
Alicia Hernandez-Dispaux