« Freaks Out », un film de Gabriele Mainetti (2021)
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Rome : année 0
1943. À Rome, on tente d’oublier la guerre dont l’Italie vient de s'extirper après sa capitulation et l’on va au cirque pour se changer les idées. Sous le minuscule chapiteau portant le nom de Mezzapiotta, dirigé par un affectueux Monsieur loyal répondant au nom d’Israël, on peut assister aux numéros de Fulvio, un homme animal velu aux airs de Chewbacca parlant et doté d’une force prodigieuse ; de Mario, le nain qui agit tel un aimant sur les objets métalliques ; de Cencio, l’albinos qui commande aux insectes. Et enfin de Matilde, l’adolescente dont le corps produit une énergie d’origine électrique qui foudroie celles et ceux qui la touchent.
Mais les Allemands bombardent et occupent bientôt la capitale italienne, poussant Israël à envisager un exil en Amérique. Mais nos quatre attractions humaines préfèrent demeurer sur place et tenter de rejoindre le prestigieux Zircus, dirigé par l’excentrique Franz, un nazi convaincu, artiste à ses heures (et pianiste mélomane rare, il est affublé de 6 doigts) qui sous couvert de constituer le « plus beau cirque de l’univers à la gloire du führer » nourrit bien d’autres projets bien moins avouables. Mais après quelques jours d’attente, et toujours sans nouvelle de leur « guide », la petite troupe part à sa recherche dans une Rome qui connaît ses premières rafles de Juifs. Des monstres aux yeux des tortionnaires contre lesquels ils s’insurgent, les 3 garçons sont arrêtés et embarqués dans les camions de la SS. Au grand désarroi de Matilde qui erre dans une Rome désolée et placée sous couvre-feu…
Des monstres, des éclopés et des parias contre des nazis vraiment méchants !
Quand bien même, plus de ¾ de siècle a passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les fascistes, nazis, et autres zélés hitlériens de toutes obédiences, demeurent des méchants de premier choix dans le cinéma, et pas seulement dans ses déclinaisons de genre ou simplement de série B ! On pourrait passer des heures à échafauder des théories explicatives, mais il est manifeste que le mélange d’idéologie haineuse, de fanatisme extrême, de (supposées) technologies de pointe ou futuristes, et d’un certain esthétisme « classieux » et grandiloquent, fait toujours mouche et génère encore des imaginaires (rétro) spéculatifs féconds avec ses armes surpuissantes et délirantes et ses vilains vraiment retords sur lesquels les « gentils » peuvent taper sans y perdre de leur innocence ou abimer leur aura de héros des justes causes.
Dans Freaks Out, l’officier germain Franz est également un monstre à sa manière. Mais malgré son air de paltoquet zézayant, il est protégé par son frère, et a réussi à s’attirer les faveurs de Berlin qui attend de lui qu’il trouve parmi la faune humaine qui converge vers son cirque, une arme (miraculeuse) décisive capable de renverser le cours de la guerre ! Mais malheur à tous les autres postulants artistes ! Franz aussi possède un pouvoir, une sorte de don de précognition qui l’expose à des visions plus ou moins violentes et incontrôlées de futurs potentiels, mais, qui capricieux, l’oblige à prendre des substances chimiques (éther, dérivés opiacés) pour le stimuler, voire de tenter de le maîtriser. Pour le mieux quand il ajoute à son répertoire des œuvres du futur (Radiohead...).Mais pour son malheur quand dans quasi tous les scénarios qui s’offrent furtivement à sa conscience, Adolf Hitler se suicide d’une balle dans la tête dans les ultimes journées d’une guerre perdue par l’Allemagne, ce qui a pour effet d’encore gonfler sa paranoïa et repousser d’un cran sa folie meurtrière.
Entretemps, Matilde perdue dans les environs de Rome, tombe sur une troupe de résistants éclopés et marginaux affublés d’handicaps, dirigée par un bossu très irascible et autoritaire, qui finira par s’allier aux freaks dans le sauvetage d’Israël et des Juifs déportés dans un train.
Poésie, baston et romance
Au cours de son (relativement) long récit - le film dépasse les deux heures vingt - Freaks Out - joue à saute-mouton entre les genres tout en revendiquant son appartenance à une classification encore à définir : le film de super-héros barge et européen !
Le film s’ouvre comme attendu sur… une représentation du petit cirque ordonnée par un Israël au four et au moulin sonore et visuel d’un spectacle sans parole donné par 4 « Fantastiques Freaks » qui fait le bonheur des petits et grands. On ne peut s’empêcher d’y voir un hommage à Federico Fellini (qui tourna Les Clowns en 1971 et fit du « grand chapiteau » (tout petit pour l’occasion) un décor - voire un personnage - régulier de ses films, mais aussi et surtout à Guillermo Del Toro par sa facture esthétique de conte extraordinaire et poétique, et où les « moches, insignifiants et ratés » éclatent de toute le leur force et imprègnent de leur beauté « autre » à l’écran.
Mais à peine expulsée de la ville éternelle, l’équipée du Mezzapiotta, devient par la force des choses une sorte de proto Patrouille Z (Doom Patrol en V.O.), des super-héros « monstrueux » créés au début des années 1960 qui vivent cachés et sauvent le monde un paquet de fois sans que celui-ci ne s’en aperçoive jamais ! Une série du D.C. Comics qui a droit aujourd'hui à son adaptation télé (3 saisons depuis 2018) mais qui surtout, servit de modèle pour la concurrence, les nettement plus populaires X-Men de l’éternel rival Marvel. Mutants ou pas, ils sont nés avec leur pouvoir et ont pu compter sur un sage et bienveillant protecteur qui les aide à faire de leurs « tares originelles » un atout au service d’une société qui les rejette. Ici, une équipe de sauveurs de Juifs et autres « lies de l’humanité » promis à une mort certaine par les nazis seront au cœur de l'histoire.
Comme chez les X-Men, la figure la plus puissante du groupe est une femme, Matilde, qui répugne pourtant à faire appel à ses facultés extraordinaires qui ont accidentellement arraché la vie de sa mère à sa naissance. Elle est au centre des enjeux, l’objet de convoitise tant recherché d’un Franz capable de toutes les ignominies pour arriver à ses fins ! Têtue, elle est aussi la seule à ne pas se résigner devant la disparition d’Israël, à dire ses quatre vérités dans le blanc des yeux du très chatouilleux et incontrôlable bossu, et effrayée à l’idée que ses sentiments partagés pour Cencio ne la fassent commettre quelques imprudences tactiles - elle que personne ne peut toucher sans risquer de se voir consumer - elle se tient à distance du beau blanc…
Pas timide et sans complexe
Le film résonne étrangement avec l’actualité politique du pays où il a été tourné, cette Italie à nouveau en proie au vide politique après la démission du gouvernement Draghi en cet été 2022, et le retour possible aux affaires du parti Fratellini d’Italia de Giorgia Meloni, un parti ultraconservateur hostile aux populations d’origines immigrées et aux minorités. Dans Freaks Out, les seuls à oser s’attaquer aux nazis et à organiser un sauvetage massif de Juifs (et d’immigrés) sont issus des rangs de ces minorités et des franges invisibles de la société.
Tourné dans les splendides décors historiques (quasi) naturels d’une Italie automnale aux couleurs délavées, le film s’est offert une distribution internationale avec des personnages bien dans leur rôle et attachants. Mention spéciale à Franz Rogowski qui campe un officier nazi mégalomaniaque au ridicule guignolesque certes chaplinien, mais qui n’en atténue jamais l’avidité meurtrière et sadique naturelle (tuer est pour lui une jouissance). Freaks Out offre un spectacle qui s’équilibre parfaitement entre scènes « émotionnelles ou intimes » et séquences d’action menant à un crescendo explosif haut en couleur.
Mais cette aventure rétro-poétique et humaniste pâtit néanmoins de quelques longueurs et eut pu faire l’économie d’une bonne vingtaine de minutes sans y laisser beaucoup de poils. Enfin, si la direction d’acteurs/actrices de Gabriele Mainetti ne souffre de failles d’aucune sorte, le jeu sur-expressif (surexcité ?) de la plupart des protagonistes à l’écran – comme si tous/toutes devaient s’exprimer selon le cliché « à l’italienne », autant avec les mains que par la parole – pourrait faire passer Freaks Out pour une pure série B anecdotique de plus ...
Ce qui serait dommage !
Freaks Out de Gabrielle Mainetti
Italie, Belgique, 2h21
Texte : Yannick Hustache
Crédits photos: Paradiso & Cinebel
Agenda des projections
Sortie en Belgique le 21 septembre 2022, distribution Paradiso Films
Le film a été montré à l'édition 2022 du Brussels International Fantastic Film Festival BIFFF2022 et est diffusé dans diverses salles de Bruxelles et de Wallonie.
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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