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Pointculture_cms | critique

FREE CINEMA - COFFRET DVD

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Le cinéma a toujours eu un rapport délicat avec la réalité, son matériau et son inspiration. On s’échine aujourd’hui à justifier la fiction par la mention omniprésente « inspiré par des faits réels » et à calquer au plus près la « réalité » en croyant […]

 

 

Le cinéma a toujours eu un rapport délicat avec la réalité, son matériau et son inspiration. On s’échine aujourd’hui à justifier la fiction par la mention omniprésente « inspiré par des faits réels » et à calquer au plus près la « réalité » en croyant y trouver une caution de « vérité » qui est pourtant une notion toute différente. La fiction est pour beaucoup synonyme d’artificialité, voire de frivolité. On recherche à l’inverse à masquer la présence d’un discours, d’une idée, d’une volonté, derrière « des histoires vraies, dont les noms ont été changés pour protéger les innocents ».

Alors comment filmer la réalité ? Quelle est la place du réel dans le cinéma ? De nombreux mouvements se sont créés à travers l’histoire du cinéma afin de répondre à cette question. Les uns se basant sur un réalisme à tendance sociale, plus proche de la « réalité des gens », les autres se basant sur un style moins formel, plus brut, plus… « réaliste ». On retiendra dans le cinéma moderne les ruptures que constitueront le néoréalisme italien ou la nouvelle vague française. Le présent coffret permettra de découvrir un autre mouvement, britannique celui-là, tout aussi novateur et contestataire, le free cinema.

Free cinema est à la base le nom donné à six programmes de films documentaires projetés entre février 1956 et mars 1959 au National Film Theatre de Londres. Le coffret rassemble en trois DVD les réalisateurs présentés dans les programmes dits anglais : le premier (Free cinema), le troisième (Look at Britain) et le sixième (The Last Free Cinema). Le deuxième programme (septembre1956) présenta des œuvres de Georges Franju, Norman McLaren et Lionel Rogosin, le quatrième (« Polish Voices », septembre1958), était consacré à la nouvelle école polonaise, avec entre autres Roman Polanski et Walerian Borowczyk et le cinquième (« French Renewal » septembre1958) fut une sorte de répétition pour la future Nouvelle Vague, avec entre autres Claude Chabrol et François Truffaut.

Le mouvement est dès l’origine une association de réalisateurs isolés, tournant sans se concerter. Le terme « free cinema » lui-même était plus un slogan choc pour leur diffusion commune qu’un manifeste ou un programme. Et pourtant, on trouve dans la plupart de ces films les mêmes rapports au cinéma, mais aussi au réel. Une même opposition les allie contre le cinéma classique, celui que les Français allaient nommer péjorativement le « cinéma de papa ». Ils vont au contraire de celui-ci, généralement léger et insouciant (c’était le cinéma de l’après-guerre, il fallait oublier tout ça, se changer les idées), se replonger dans la réalité la plus brute, dans le réalisme social le plus douloureux. Ces films sont à mi-chemin entre le documentaire fictionnel et le film d’auteur. Ils doublent un intérêt accentué pour le quotidien, le social, le banal parfois, le sordide quelquefois (ce que Tanner appellera « le cœur pourri des grandes villes »), d’une volonté de liberté et d’innovation formelle. Tous ces films ont été réalisés à petit budget, voire sans budget du tout. Ils furent toutefois soutenus par le British Film Institute et son fond expérimental. Ces contraintes vont rapidement devenir des avantages, poussant les réalisateurs à travailler en décor naturel, avec des acteurs non-professionnels. Ce qui était bidouillé pour des raisons de moyens sera ensuite revendiqué comme choix. Le free cinema va devenir le royaume du « smoke & ladder », du bricolage pour compenser l’absence de matériel et d’effets spéciaux. Les travellings et les grues seront de simples échelles posées contre un mur, le brouillard de la fumée de cigarette. Le mot d’ordre sera « small is beautiful » et un style nouveau découlera des limites techniques. Comme les caméras Bolex ne pouvaient tourner que des plans de 32 secondes par bobine, les films compenseront par des montages élaborés et astucieux; comme les équipes ne disposaient généralement pas de matériel son, les films se passeront de dialogues. De restrictions en restrictions, les réalisateurs vont se concentrer sur une forme de « cinéma vérité », se débarrassant progressivement du scénario, de l’intrigue, pour ne conserver que l’atmosphère. Un manifeste a posteriori se dégagera de ces pratiques, encore une fois pour des raisons de marketing plus que pour établir une règle, un dogme. Le free cinema sera déclaré « libre plutôt qu’expérimental »; « ni ésotérique, ni introverti », il se voudra néanmoins « un défi à l’orthodoxie ». Pour ses adeptes, malgré leur volonté d’objectivité, « aucun film n’est trop personnel ».

Dès ses premiers pas, le free cinema cherche à se distinguer de ses prédécesseurs, tant du côté du cinéma de fiction que du côté du cinéma documentaire. Dans les années 50, le documentaire britannique est encore tributaire des années de guerre. Il possédait toutefois déjà une approche formelle excessivement variée, dynamique et innovatrice, utilisant des techniques modernistes, des reconstitutions fictionnalisées, des allégories poétiques comme des méthodes issues de la plus pure propagande. L’époque était dominée par la personnalité de cinéastes comme John Grierson, pour qui le cinéma ne devait pas être vu comme un art. Il s'agissait avant tout d'un moyen de communication et d'un outil sociologique qui permettaient de faire comprendre la complexité du monde moderne. Le but du cinéma était pour lui d’informer, d’éduquer, de mettre en valeur la condition humaine. Le cinéma ne devait pas être au service de l'art, mais plutôt au service de l'économie, du politique, de l'idéologie et de la morale. Ses films étaient influencés par le style de Eisenstein et les thèmes de Flaherty. Et pourtant, les jeunes réalisateurs du free cinema et lui avaient des choses en commun, Grierson militant déjà pour un cinéma qui fuirait les studios, les acteurs, les mises en scène conventionnelles et les scénarios écrits à l'avance et tiendrait compte des réalités de son temps.

Les films du free cinema vont aborder des sujets souvent intimistes, parlant de la vie de tous les jours, parlant surtout de la classe ouvrière et de sa réalité. Ils vont s’intéresser au quotidien le moins glamour, le plus éloigné de ce qui était conçu avant cela comme « cinématographique ». On peut regretter que le coffret ne contienne pas les films de fiction essentiels du free cinema: Room At The Top (1959) de Jack CLayton, Look Back In Anger (1959) et The Loneliness of the Long Distance Runner (1962) de Tony Richardson, The Sporting Life (1963) & If (1968) de Lindsay Anderson et Saturday Night and Sunday Morning (1960) de Karel Reisz. Mais cette livraison de documentaires d’auteurs contient de petites merveilles, comme ce Momma Don't Allow de Karel Reisz et Tony Richardson qui résume, sans dialogues et sans commentaires, les trajectoires de quelques jeunes dans un pub de banlieue ouvrière un samedi soir. Parmi les premiers films du mouvement se trouve également O Dreamland de Lyndsay Anderson et sa fête foraine, hésitant entre le sordide et le franchement effrayant, rythmé par le rire diabolique d’une poupée de ventriloque, ou l’histoire de deux amis sourds-muets poursuivis et pourchassés dans les rues par une bande d’enfants espiègles qui vont les moquer, jusqu’à l’anti-happy end final dans Together de Lorenza Mazzetti. On le voit, ces films ne sont pas aisés à classer et sont autant des films d’auteurs que des documentaires. Ils proposent une vision extrêmement personnelle de la réalité, sans se départir d’un solide ancrage dans le social.

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