ROPECHAIN
Malgré les crues incessantes de nouveautés, il n’est pas si courant d’entendre un disque qui rompt radicalement avec la dictature du copier/coller/dupliquer en vigueur
partout. On aurait bien envie de paraphraser l’une des scies de ses derniers mois « Et entrez dans la danse ». Oui mais dans celle des fous !
Pour la petite histoire, David ‘Moose’Adamson alias Grampall Jookabox est l’avant-dernière divine surprise en provenance du label Asthmatic Kitty, fondé et géré par cette bonne à tout réussir de Sufjan Stevens. L’ultime pourrait bien être DM Stith mais c’est encore à confirmer. Et vu leur terrain de jeu respectif (folk spatial pour le dernier arrivé et lire ce qui suit le notre héros du jour), aucun risque de les voir en compétition, ou alors juste pour rire!
De l’humour, on en trouve par pelletées dans « Ropechain », troisième travail (un EP et un album, tous deux introuvables précèdent celui-ci) de ce citoyen d’Indianapolis qualifié là-bas de « ghetto-folkster ». Sauf qu’on est incapable de trancher si le sens de cette « politesse du désespoir » fortement mâtinée de dérision relève bien du pic immergé de la conscience du personnage ou s’il agit (cet humour) comme un filtre ou une soupape, en réaction à un dérèglement intérieur ou sous l’effet du rejet du monde extérieur (on peut aussi lire ghetto et folk dans le sens de zone et de péquin). Et pour la légende, on précisera que GJ a engrangé bon nombre de ses samples depuis un asile abandonné et parait-il hanté, et bouclé son disque en moins de 11 semaines !
Un schizophrène hyperactif, donc mais dont la bouillonnante psyché se révèle être un petit chef d’œuvre de bassin décanteur de musiques actuelles doublé d’un fermentateur très particulier à idées nouvelles, de ceux qui rejettent instantanément recettes et décoctions déjà connues de sa mémoire de machine. Un type en phase avec son époque, qui remue et fait tremper ensemble ce qui il y a peu faisait encore l’objet d’un tri séparé; ces navrants confinements entre musiques noires et blanches. Et au bout du compte, comme chez le Beck des miraculeux débuts, ou à l’instar de la trilogie sans faille de TV On The Radio, un son qui garde jusqu’à son rendu final une jouissive immaturité et un grain hirsute et bombé, pile-poil celui redouté des constructeurs d’enceintes.
« Ropechain » démarre par une ode aux filles de couleur (« Black Girls ») sur les pas d’une majorette (Aimée Brown) qui s’essaye conjointement à l’hélium et aux circonvolutions tribales. Rythme entêtants et nappes spatiales ensuite (« Let’s Go Mad Together ») qui placent un crédible sosie vocal de John Lydon (PIL) à la tête d’Animal Collective. « Old Earth, Wash My Beat» dit la chanson ! Exactement le genre de choses que s’interdit GJ qui en rajoute une couche et ensemence ses refrains dans du compost psychédélique. Des beats crados et les remugles d’une electro jouée au milieu d’une décharge remontent les talons d’un véritable tube cosmique (« The Girl Ain’t Preggers ») pour se déhancher autour d’un brasero alimenté aux déchets toxiques. Un blues calciné à la libido dérangée prend le relais (« You Will Love My Boom»), avant un gospel allumé (« I Will Save Young Michael »). « The One Thing » renoue avec les pulsations obstinées, «We Know We Might Be Fucked » revient sur l’origine du ma(â)l(e) avant un duo final (« Strike Me Down » et « I’m Absolutely Freaked Out ») qui oscillent entre B.O. d’un genre encore à naître – la « FreakXploitation » - et prêches ubuesques. Conversion immédiate.
YH