GRAVITY=LOVE
En 1947, Gustave Thibon publie sous le titre La Pesanteur et la grâce des extraits des derniers cahiers de Simone Weil (singulière, touchante et éclairante philosophe morte en 1943 et ayant glissé au cours des dernières années de sa vie de l’ouvriérisme et de l’extrémisme de gauche vers le mysticisme). Cinquante plus tard, Tim Wijnant décline ce rapprochement sémantique de manière plus abrupte et mathématique en posant l’équation Gravity = Love pour étiqueter son premier album. Par rapport à son titre, la tonalité d’ensemble est, certes, romantique mais pas aussi systématiquement grave ou pesante que son appellation le suggère. Le lent vrombissement mystérieux du très long « Daylight » qui clôt l’album distille une ambiance assez menaçante mais la petite délicatesse pointilliste « Papa ne fume » pas ou l’agencement apaisé et mélodique des bips aigus de « Undergrowth » introduisent des trouées de lumière et des appels d’air dans la pénombre d’un environnement qui peut paraître confiné à la première écoute. Le morceau « Full Endeavor » révèle fort bien cette ambiguïté des ambiances: on commence par appréhender ce morceau qui conjugue pulsations, guitare préparée, toussotements et déclamation d’un texte sur la mort comme un spoken word « noir de noir » qui ne dépareillerait pas sur un disque de Godspeed You Black Emperor. Puis, on tend l’oreille et on tente de décrypter des paroles qui s’avèrent parler plutôt de renaissance et de libération que de mortification : « Your time of death is up / Welcome to the living / There is no death / The son of God is free ». Au niveau strictement sonore, le grand attrait de ce disque réside dans sa nature organique et dans la chaleur des sons. « The Sermount On The Mount » qui ouvre le disque par un lent – et long – crescendo / decrescendo se pose comme un véritable biotope sonore : un espace de vie grouillante où les sons semblent trouver leur place mutuelle selon une sorte d’ordre naturel derrière lequel le musicien a presque l’air de s’effacer. Et au cours des 45 minutes suivantes, celui-ci continuera avec un bonheur constant à traiter électroniquement (par le filtrage, la mise en boucle, le feedback, etc.) les sons sensuels et organiques les plus divers, dont ceux de « vrais » instruments (guitare sur « Full Endeavor » ou « Daylight », accordéon et piano sur « De branding »). Régulièrement des imperfections et un souffle d’enregistrement assumés (« magnified white and pink noise » comme y font référence les notes de pochette) viennent faire écho au souffle de la respiration humaine. Fragile, mais sans complaisance, Gravity = Love effleure avec justesse quelques sentiments fondamentaux de l’homme.
Philippe Delvosalle