VECKATIMEST
Dans l’imaginaire enfantin, l’ours (ou nounours) occupe une place aux antipodes de sa position de prédateur supérieur au sommet de la chaîne alimentaire. Cependant depuis Veckatimest, le trône pop de 2009 pourrait bien lui aussi échoir à l’un de ces surprenants plantigrades.
Pour rester dans le domaine fécond de la métaphore animalière, on se souviendra que l’élu de l’année musicale 2008 avait aux yeux de beaucoup le pelage roux d’un renard un tantinet hippie (Fleet Foxes), et que ces derniers mois, il a été bien difficile de ne pas succomber ou subir les exactions sonores perpétrées par un collectif de bestioles mutantes (Animal Collective) qui a fichu un souk pas possible dans la pop et ailleurs !
Mais si l’un dans son pli 70’s fortement marqué (FF), et l’autre dans le tourbillonnement presque inconvenant de son shaker aux 1001 ingrédients ont laissé autant de septiques que d’enthousiastes sur le carreau de l’indécision, on tient peut-être en Grizzly Bear un candidat sérieux à la réconciliation des familles pop.
Jusque-là, les New-yorkais de Grizzly Bear s’étaient fait discrètement remarquer comme l’une des premières et convaincantes escapades en terrain organique de la BMW des labels électroniques, l’increvable Warp Records (Aphex Twin, Harmonic 313…). Yellow House paru en 2006 sortait de la veine folk, à laquelle il était assimilé et alors en pleine effervescence, et taquinait déjà les volutes célestes d’un lyrisme humide au doux perlé psychédélique. Sorti, l’an dernier sous le nom d’Inner Ear, l’album du projet parallèle Department Of Eagles de l’un des petits oursons (Daniel Rossen), focalisa l’attention critique qui, dopé d’encouragements de la bande à Thom Yorke (Radiohead), se fit l’écho de l’arrivée accidentelle (?) d’une mouture quasi définitive de Veckatimest sur l’Internet à quelques mois de sa sortie…
Coup de pub orchestré ou involontaire coup de pot (…), le soufflet médiatique retombé laisse place à un disque durable nouvelle génération : Veckatimest séduit immédiatement et convainc sur la longueur. L’entrée en matière est un modèle de concision achevé qui allie la rigueur d’une écriture qui ne s’effraie pas de formes alambiquées pour maintenir sa folie sous contrôle, et une attirance pour les harmonies étranges qui semblent dépasser leur(s) concepteur(s). « Southern Point » voit l’inquiétude de sa mélodie désamorcée sous les brusques mouvements d’une grande roue qui l’expose à des chœurs angéliques et spirales instrumentales (guitares, cordes, claviers) puis à leur brusque absence ; « Two Weeks » est un menuet composé façon Bian Wilson amoureux (le Beach Boys en chef) avec trémolos battus en neige, piano suspensif et un geyser de chorus d’où se détache par décalque la voix enchanteresse de Victoria Legrand (Beach House) ; « All We Ask » pourrait passer pour un inédit de Jeff Buckley réarrangé par Iron & Wine. On se prend d’envie de se saisir de ces chansons aux armatures liquides et perspectives gigognes, mais qui laissent dans leur sillage l’ombre de refrains dont on ne peut se défaire. Et pourtant, davantage que de repères tangibles, c’est de boussole dont on a besoin, histoire de s’en voir remettre à l’attractivité bienfaitrice de ses pôles magnétiques. Plus loin, aux abords de « Cheerleader », on se remémore les peines de cœurs de l’ami Merz et l’on se dit que les gens tristes ne connaissent pas leur chance de les sublimer de la sorte !
Et puis, à l’instar du Merriweather Post Pavillion d’Animal Collective, Veckatimest subit une petite chute de tension créative en son centre (les limites prog’ « Dory » et « Hold Still »), comme pour réaffirmer que faire du neuf avec autant de tonnes de vieux n’était pas une sinécure, mais une entreprise de longue haleine et à haut risque. Mais dès le rebondissant « While You Wait For The Others », le balancier des impressions entre 40 ans de pop aventureuse et la sensation tenace que quelque chose d’inédit a pris racine ici reprend son tic-tac métronomique. En final, un bout de comédie musicale patraque « I Live With You » s’ajoute au décompte des moments précieux et notre ours mélomane prend congé sur une bluette à s’en faire mordre les pattes à tous les Mercury Rev et Rufus Wainwright des pompeux derniers disques.
Ce soir, moi je dors avec nounours…
Yannick Hustache