CONCEPTS IN UNITY
Ce disque est né de jam-sessions organisées dans leur cave par deux musiciens, les frères González. Réunis à la base pour des sessions informelles, des descargas durant lesquelles ils exploraient la centaine de rythmes que compte la musique des Caraïbes en rassemblant autour d’eux des vétérans des musiques cubaine et portoricaine comme Manny Oquendo, Henny Alvarez ou Virgilio Martí. Satisfaits de ces sessions, et confiant dans le potentiel d’une musique infusant dans la tradition une modernité toute new-yorkaise, ils mirent sur pied le groupe Conjunto Anabacoa, dans un premier temps composé de Andy González (basse), Jerry González (congas), Nelson González (tres), Frankie Rodríguez (congas), Alfredo « Chocolate » Armenteros (trompeta) et du chanteur René López. Devant le succès inattendu du groupe, ce dernier décida en 1975 d’enregistrer un disque, mais en intégrant au groupe d’autres membres et de changer de nom pour devenir le Grupo Folklórico y Experimental Nuevayorkino. Comme ce nom le montre la volonté était double : faire revivre à New York le folklore des Caraïbes tout en y incorporant l’expérimentation. Fusionnant « la musique d’hier avec une vision contemporaine, mais également, la musique d’aujourd’hui avec une vision d’hier », ils poursuivaient la grande entreprise de cuisine musicale débutée à la fin des années cinquante et rassemblée sous le nom générique de salsa. Regroupant des choses très diverses comme le son, le mambo, le cha-cha-cha, le bolero, le merengue, la plena, la bomba, la gaita, le tamborito, la cumbia et le vallenato, et surtout la fusion de tous ces genres développée à New York, la salsa s’est développée grâce aux communautés latines - notamment la communauté portoricaine - résidant dans le Spanish Harlem, le fameux Barrio. Loin de la salsa contemporaine, la salsa romántica et de ses ballades langoureuses, la salsa des années 1970 a été qualifiée a posteriori de salsa dura pour ses arrangements énergiques, comparativement plus agressifs, plus sauvages. La musique du Grupo Folklórico y Experimental Nuevayorkino est ainsi plus proche des racines cubaines et espagnoles qui ont construit la musique populaire cubaine et dans laquelle se dégagent avant tout des éléments séculaires et religieux africains et européens. Percussions yoruba issues de l’esclavage, chœurs inspirés des rituels chrétiens, comme santériens, sont mêlés à la musique des danses de salons et au jazz, en un métissage à la fois très moderne et très respectueux des traditions. Ce premier album fera date dans l'histoire de la musique pour plusieurs raisons. Il sera par exemple le premier album « latin » à être chroniqué par le magazine « down beat » et ainsi être reconnu par le milieu du jazz. Le « grupo » sera aussi la base de nombreux groupes après lui, comme le Conjunto Libre de Manny Oquendo, ou l'Orquesta Spanish Harlem d'Oscar Hernández. Il réunissait en son sein les meilleurs musiciens de son époque dans leurs domaines respectifs. Il peut être ainsi considéré comme un des premiers « All Stars ». Cet album est l'occasion de retrouver cette musique à un croisement important de son histoire, alors qu'elle conservait encore la force brute de ses origines afro-cubaines et l'enthousiasme du renouveau et de l'expérimentation.
Benoit Deuxant