WELL-TAMPERED ACCORDION (THE)
Klucevsek trace quatre portraits de personnages littéraires. Personnages
reliés à l'œuvre de Virginia Woolf, selon le roman qui a
inspiré le film The Hours . Pas de traits typiques, pas de caricatures.
Son accordéon, de plus en plus subtil, s'attache à restituer la
psychologie de ces personnages, leur dynamique des fluides. Il effleure leurs
tournures mentales, comment ils rêvent, comment ils ruminent. Comment
ils bougent, comment ils parlent (intonations, accents, inflexions), comment
ils respirent. Procédant par petites touches impressionnistes qui s'imbriquent,
s'activent, fusionnent, rentrent en conflit, se dispersent. Mouvements d'âme,
d'humeurs, jeux de couleurs, tout en évocations, réminiscences.
L'accordéon kaléidoscope. Ensuite, en neuf plages, traversée
du roman Les crimes de l'accordéon d'Annie Proulx. C'est l'histoire
d'un accordéon fabriqué en Sicile qui émigre à la
Nouvelle-Orléans et va changer de mains, changer chaque fois de régions,
de cultures, de communautés. Klucevsek dissèque tendrement cette
bougeotte de l'accordéon. Un instrument toujours entre un port d'attache
et une migration, entre un enracinement et un déracinement. Chaque plage
raconte un voyage. Comment les musiques et les styles changent au contact de
l'ailleurs. Klusevcek est loin des gros phénomènes de fusion.
C'est un anthropologue éclairé de tout ce qui touche à
l'accordéon, un archiviste raffiné, méticuleux, un chercheur.
C'est au niveau des particules très fines qu'il décrit les mariages
entre différents héritages, les déplacements de savoir-faire,
les échanges. Une mise en perspective brillante de l'accordéon
universel, traits d'union entre peuples.
Enfin, en douze perles d'une laitance astrale, L'accordéon bien tempéré
! La référence à Bach est à chercher
dans l'accomplissement, la clarté aboutie de l'écriture, l'apparente
simplicité, la sérénité baroque, le détachement
lumineux. La concision des idées abouties. Klucevsek donne alors une
synthèse éblouissante de sa perception personnelle de l'accordéon.
Il énumère les « figures » autour desquelles
il construit sa relation avec l'instrument, passages obligés pour son
imaginaire musical. Sa griffe. Certains morceaux sont si « purs »
que l'on dirait simplement le temps qui passe. D'autres s'enroulent autour de
racines fœtales. D'autres encore sèment les germes d'une fantaisie
fondamentale, d'une ivresse heureuse, de danse capitale, parlent de ces mystérieuses
empathies chorales, de nostalgiques misères qui chantent dans les os.
Des souvenirs « madeleine de Proust » qui fondent dans
l'oreille. L'abattement, le désespoir, le sursaut bravache, l'illusion.
Dans une matière translucide, un feuilleté accordéon parcouru
d'images captivantes dans leur élémentaire simplicité.
Les diverses facettes qui constituent un style. Quintessence ! ?
( Pierre Hemptinne )
«Les Crimes de l'accordéon» - Annie Proulx - É ditions
Grasset, 2004