CONSULTATION (LA)
LA CONSULTATION – Hélène De Crécy
(France, coul., 2006, 92')
Presque invariablement, chaque séquence commence par le plan d'une porte entrouverte filmée selon la diagonale d'une pièce vide, depuis l'arrière d'un bureau noir où sont posés un ordinateur portable et un tampon encreur. Un homme, toujours le même, apparaît à chaque fois très vite, poussant de manière prévenante la porte pour laisser rentrer une femme, un homme, un couple, une mère et son bébé… Comme son titre le laisse en partie présager, « La Consultation » propose le défilé d'une série de patients en visite dans le cabinet d'un médecin généraliste. Suite à un « pacte », amorcé au préalable - sans doute dans la salle d'attente - et scellé définitivement plus tard – après la vision éventuelle des rushes, si un doute est apparu… ou n'a pas disparu – ces patients ont accepté de laisser Hélène De Crécy filmer ce moment a priori très intime d'auscultation de leur corps et de leur mal-être. Et - dès le début - de voir un jour cette intimité rendue publique à la télévision et en salles de cinéma. Selon une manière de faire (s'en tenir à un dispositif, ne pas vouloir [faire] entendre de voix off, laisser émerger le sens des gestes, regards, paroles et silences des personnes filmées…) qui pose évidemment timidement ses petits orteils dans les traces de pas laissées par d'impressionnants yetis du cinéma du réel tels que Frederick Wiseman ou Raymond Depardon, la documentariste a ainsi filmé cent cinquante heures de rushes dont environ un centième (une heure et demi) se retrouve dans le montage final. Le choix des séquences retenues semble avoir été plus motivé par l'envie de montrer l'étendue du panel des cas, des plus banals aux plus graves, se présentant au généraliste, ce médecin de la première ligne, que par une représentativité proportionnelle de ces différentes situations dans sa pratique quotidienne.
Le médecin frappe par la qualité de son écoute et l'aisance de sa parole, franche et limpide, mais aussi par l'affleurement totalement assumé d'un certain nombre de credo qui lui tiennent visiblement fort à cœur (antitabac, pro-allaitement maternel…) et qu'il n'hésite pas à défendre très fermement face à des patients dont les choix de vie vont précisément à l'encontre d'une certaine médecine du bon sens préventif à laquelle il adhère. Quand il essaye de dissuader, ou au moins de faire hésiter, un jeune couple, amoureux mais bientôt géographiquement séparé, qui se dirige vers une interruption volontaire de grossesse, on sent bien qu'il ne respecte pas juste la «démarche d'information» imposée par la loi; il y a quelque chose d'autre, de plus profond et personnel qui est en jeu… Cela touche à un des bémols critiques qu'on pourrait adresser à Hélène De Crécy: faire croire au spectateur que le docteur lyonnais Luc Périno a été suivi au hasard ou arbitrairement, qu'il est un médecin comme les autres, qu'il n'a pas été choisi; c'est-à-dire taire - dans le film - le fait que c'est via la lecture d'un de ses livres qu'elle a cherché à rencontrer ce médecin-écrivain, militant incessant de la défense d'une médecine générale, globale et relationnelle. Lors d'un bref passage par le milieu de l'industrie pharmaceutique, il a aussi ouvert les yeux sur le formatage des universitaires de la santé par cette industrie… Par contre, un des vrais points forts du film est de montrer « un médecin qui a de la bouteille et qui reste malgré tout désemparé par la demande médicale actuelle » et affirme - face aux situations de dépression, de burn out [ou syndrome d'épuisement professionnel], d'alcoolisme, d'addictions médicamenteuses - se sentir comme « l’entonnoir des maux de la société ». Une société dont de plus en plus de membres se retrouvent simplement malades… de vivre !
DÉSIRS D'AMOUR – Hélène De Crécy et Philippe Pataud
(France, coul., 2001, 52')
Philosophe de L'École normale supérieure, Hélène De Crécy est aussi diplômée en sexologie et santé publique et, avant « La Consultation », elle avait déjà coréalisé « Secrets d'hommes, la vie ou la prostate », un reportage télévisuel sur l'impuissance masculine et le cancer de la prostate et « Désirs d'amour » (repris en complément sur le présent DVD), bouleversante enquête sur le désir d'une vie affective et/ou sexuelle de la part de personnes handicapées.
Contrairement à « La Consultation » qui - très logiquement, vu son sujet - aborde la médecine sous son angle le plus général, celui auquel aucun de nous n'échappe, « Désirs d'amour » se frotte, sans sensationnalisme ni fausse pudeur, à une question encore doublement tabou pour beaucoup. Tabou parce que sexuelle, (tabou)² parce que liée aux handicapés. Vous en doutez ? Au début du document, la caméra monte des roues de sa chaise roulante vers le visage de Florence et la phrase tombe comme un couperet: « On nous a carrément dit que nous étions des obsédés sexuels. Ce sont des mots terribles. Terribles… Parce que je pense qu'on a une vie tout à fait saine, mais on s'aime, c'est tout… Entendre des choses comme ça, ça veut dire 'Toi, t'as pas cette place; t'as pas le droit d'être une femme'. C'est très clair ». Nadège et Laurent, tous les deux en fauteuil roulant, attendent leur quatrième enfant; comme des trois précédents, ils en prendront soin seuls, sans assistance, sans tierces personnes… Dans une institution bretonne accueillant une septantaine d'hommes et de femmes lourdement handicapés, des romances plus ou moins cachées ou avouées existent, d'autres avouent se masturber ou rêvent « d'au moins une fois, avant de mourir… pour voir comment c'est… », en se faisant éventuellement aider par « des professionnel(le)s »… Un pas qui a été franchi aux Pays-Bas où une association créée en 1982 par des handicapés floués par des prostituées et aujourd'hui aidée par l'État fait dispenser par des « assistant(e)s sexuel(le)s » des prestations où le respect et la lenteur ont remplacé l'arnaque et la précipitation et où la compagnie, la conversation, la tendresse, les échanges ont autant de place que l'acte sexuel proprement dit. En Angleterre, au contraire, Tuppy Owen n'a pas voulu suivre ce scénario jusqu'au bout: pour elle, il ne faut pas tout prendre en charge et « il faut que les gens [aussi les handicapés] aient à chercher et à trouver eux-mêmes ce dont ils ont besoin ». Elle a donc préféré créer le réseau de rencontres Outsider's Club qui met en contact des hommes et des femmes isolés, du fait de leur déficience physique ou de leur statut social fragilisé… en leur laissant la responsabilité de prendre contact, de mener leur vie comme ils l'entendent, de nouer des relations fugaces ou plus durables.
Comme le relève le médecin Yvon Soleau, on a fait passer les handicapés « du statut d'enfants au statut d'adultes », mais sans que le corps social et les familles ne reconnaissent tout ce que ce nouveau statut implique. Ouvrir les yeux sur cette réalité souvent cachée est la première étape pour essayer d'y apporter des solutions.
Philippe Delvosalle
août2008
Rebonds :
Tout d'abord, deux documentaires ne figurant pas - pas encore - dans les collections de La Médiathèque :
- Sophie BRUNEAU et Marc-Antoine ROUDIL: « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés »
Dans trois hôpitaux de la Région parisienne, le huis clos des consultations d'un psychologue et de deux médecins recevant des hommes et des femmes malades de leur travail. Ici aussi, un film né de la lecture d'un livre : « Souffrance en France » de Christophe Dejours.
- Vincent DÉTOURS et Dominique HENRY : « Dr Nagesh »
Par les réalisateurs de « SIDA, une histoire de l'AZT », la consultation quotidienne du Docteur Nagesh à destination des malades du SIDA de Bombay. L'impossibilité de prescrire des antiviraux (hors de prix) et l'obligation de se limiter à atténuer les symptômes de la maladie.
mais aussi :
- Michel DEVILLE : « La Maladie de Sachs »
D'après un scénario du médecin-écrivain Martin Winckler, consultations et confidences dans le cabinet du médecin généraliste Bruno Sachs (interprété à l'écran par Albert Dupontel).
- Stephen DWOSKIN : « Pain Is… », « Behindert », « Dyn Amo »…
Victime de la poliomyélite à l'âge de neuf ans, Stephen Dwoskin est devenu un des premiers cinéastes à filmer le monde du handicap (et, plus largement, de la douleur dans «Pain Is…») de l'intérieur, à la première personne du singulier. L'érotisme et la sexualité sont très souvent présents dans ses films sous la forme de rituels théâtralisés flirtant avec l'imagerie sadomasochiste («Désirs d'amour» d'Hélène De Crécy insiste dans son volet britannique sur les liens entre certains handicapés arrivant à vivre une sexualité différente et un milieu S.M. bienveillant parce qu'aussi marginalisé).
Hélène De Crécy – France 2005, 91’.
Dans le huis clos du cabinet d’un médecin généraliste, les consultations se succèdent. Parce qu'on a souvent plus besoin d'un médecin que de médecine, chacun vient déposer ses douleurs, ses joies, ses angoisses… Un portrait en creux des maux de notre société et d’un homme plein d’humanité.
Désirs d’amourde Hélène De Crécy et Philippe Pataud - France 2001, 52’.
La caméra part à la rencontre de personne handicapées qui témoignent avec courage et pudeur de leur sexualité. Bouleversant.