« House of Gucci », un film de Ridley Scott (2021)
L’histoire de la famille italienne Gucci, à la tête d’un empire de la mode, est connue. Elle est marquée par des scandales et des drames qui ont fait la une de la presse durant les années 1980 et 1990. Ridley Scott s’en est emparé, se basant sur le livre de Sarah Gay Forden (2001), et créant un film épique et rassemblant une palette d’acteurs assez impressionnante.
« Inspired by », c’est bien comme ça qu’il faut voir ce long métrage. Il part d’éléments réels mais construit une histoire aux nombreux ressorts romanesques et dramatiques, chamboulant quelque peu la chronologie des faits. Ce n’est pas un reproche, cela apporte encore plus de piment à l’histoire. Le film commence avec un jeune Maurizio Gucci (Adam Driver) qui étudie le droit et ne s’intéresse absolument pas à l’entreprise familiale gérée à l’époque par son père Rodolfo (Jeremy Irons), un ancien acteur de cinéma plongé dans le passé, et son oncle Aldo (Al Pacino). Il rencontre à une soirée la jeune Patrizia Reggiani (Lady Gaga) qui travaille dans l’entreprise de transports de son père. Dès qu’elle apprend que Maurizio appartient à la célèbre et richissime famille, ses yeux se mettent à briller et elle décide de tout faire pour épouse le jeune homme. Ce qui devait se passer se passa : elle prend le contrôle de la situation, aidée par Pina (Salma Hayek), une voyante, et pousse Maurizio à s’investir dans la société Gucci, profitant elle aussi de la gloire et des retombées financières.
L’entreprise familiale n’est pas exempte de problèmes : Rodolfo et Aldo la gèrent en patriarches qui n’acceptent aucune confrontation ni changement. Aldo prend Maurizio sous son aile et l’installe dans les bureaux à New York (au grand bonheur de Patrizia, évidemment), mais par la même occasion rejette complètement son propre fils, Paolo (Jared Leto) qui tente pourtant d’apporter un certain renouveau en créant sa propre ligne de vêtements. Les quatre hommes sont des loups qui se dévorent entre eux, se battant à coup de dénonciations pour fraude fiscale ou questions de copyright mais luttant également pour prendre le contrôle de la majorité des parts de la société au détriment des autres actionnaires.
Les personnages ont tous des traits forcés et leur caractérisation manque parfois de subtilité : Paolo est un bouffon triste, au look un peu extrême (Jared Leto est méconnaissable, il devait subir 5h30 de maquillage pour sa transformation), Rodolfo est un homme dur et aigri plongé dans le souvenir d’un passé plus heureux et dans un deuil (de son épouse) qui n’en finit plus, Patrizia se montre dès le départ comme une femme manipulatrice et prête à tout pour arriver à ses fins (même quand ne connaît pas l’histoire, il n’y a aucun doute à ce sujet). Elle est magnifique dans son art de la séduction mais aussi dans sa jalousie maladive et son appât du gain extrême. C’est un personnage rongé par la peur de l’abandon, par la hantise de ne plus être une Gucci et de ne plus appartenir à la jet-set. Malgré tout cela, il y a aussi beaucoup d’amour, en tous cas au début de l’histoire. Lady Gaga s’est complètement immergée dans son personnage, s’inspirant tout à tour du chat, du renard puis de la panthère pour jouer au mieux le rôle de Patrizia. Maurizio a l’air un peu fade et immuable au départ, intériorisant ses émotions, mais il est sans doute le personnage qui change le plus au cours du film, d’un jeune homme réservé à un requin avide d’argent. Le film ne donne pas vraiment d’explication sur cette transformation et c’est assez soudain, presque d’une scène à l’autre.
Ridley Scott transforme ce drame familial, cette histoire domestique, en film épique de grande envergure. Il a tourné à Milan, Rome, au lac de Côme et dans les Alpes, et grâce à ses contacts avec les propriétaires actuels de Gucci, il a pu utiliser des vêtements et accessoires d’époque (la scène avec Sophia Loren devant un des magasins en est un exemple). Il a également montré tous les signes de richesse de l’époque, œuvres d’art de Klimt ou Lichtenstein mais aussi Ferrari et Porsche vintage. Et le film est arrosé de martinis dans de nombreuses scènes. Musicalement, le film est parsemé de hits des années 1980, de Blondie à Eurythmics, de David Bowie à Bronski Beat, ainsi que de ballades italiennes et d’un peu de jazz bossa nova. Harry Gregson-Williams a composé un score qui complémente certaines autres scènes mais cette musique reste fort en retrait.
Le film décrit les rouages internes d’une famille riche et l’appât du gain d’une femme qui souhaite atteindre un statut social plus élevé que le sien. Il y a des éléments de soap et de série tv, de Dallas à Succession, et peut-être que ce format aurait été plus adapté. Le film est en effet très long – plus de deux heures trente – et se perd parfois dans les détails. Le spectateur a l’impression qu’on lui montre plusieurs histoires parallèles, sans trop de rapports les unes avec les autres, et Ridley Scott aurait probablement pu couper quelques scènes qui n’étaient pas immédiatement liées à l’histoire du couple Maurizio – Patrizia, notamment parmi celles qui montrent Paolo, souvent difficiles à regarder tant le personnage est risible et grotesque.
Les performances des acteurs sont réussies, et le film est très certainement oscarisable, mais le récit qui a toutes les caractéristiques d’un bon soap aurait pu être resserré. C’est une histoire de séduction poussée jusqu’à ses extrêmes, que ce soit dans l’amour ou dans le pouvoir. C’est un bon divertissement qui plonge le spectateur dans la jet-set européenne et le monde de la mode des années 1980.
House of Gucci, un film de Ridley Scott
Etats-Unis - 2021 - 2h37
Texte: Anne-Sophie De Sutter
Crédits photos: Universal Pictures
Agenda des projections:
Sortie en Belgique le 23 novembre 2021, distribution Universal Pictures.
Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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