« Ils sont vivants », un film de Jérémie Elkaïm
Une vie tranquille
La quarantaine tranquille, Béatrice qui est infirmière en gériatrie dans un hôpital, semble se contenter de cette « petite vie familiale » un peu à l’écart de l’agitation du monde et quelque part toujours « dans l’ombre protectrice » du cercle de connaissances et d’amis de feu son mari.
Des gendarmes qui ne voient guère d’un bon œil ce camp de fortune faits de bric, de broc, de bois, plastic, toile et autres matériaux de récupération, et où s’entassent des réfugiés et/ou migrants venus principalement d’Afrique et d’Asie, décidés de tenter le tout pour le tout pour franchir le bras de mer qui les sépare de « l’eldorado britannique ». Pour ces forces de l’ordre, la méfiance est de mise et chaque réfugié est vu comme une source potentielle de nuisance.
Pour Béatrice, le premier contact tangible avec l’un des anonymes du camps est plutôt brutal. Elle renverse un soir, au volant de sa voiture en quittant son travail, un jeune Africain (au final, plus de peur que de mal) qu’elle reconduit à l’entrée du camp. Elle se sent peu rassurée par le spectacle de misère humaine qui lui est donné à voir, mais intriguée puis interloquée par les remarques des volontaires qui viennent en aide aux migrants qui la battent froid, elle se joint finalement aux équipes humanitaires qui pallient dans une urgence constante, et sans grands moyens à l’absence de toute réponse institutionnelle et politique solidaire.
Commence alors pour la Nordiste une seconde vie où elle est davantage actrice de sa propre existence, assumant tant bien que mal son job en hôpital, ses tâches de mère au foyer et le temps passé à des actions d’aide dans le camp. Bientôt, elle accepte de prendre un petit groupe de réfugiés chez elle dans le but discret de préparer une opération spéciale de passage en force vers l’Angleterre, ce qui ne manque pas de susciter l’incompréhension des siens et la suspicion de l’entourage en uniforme bleu de feu son mari. Et parmi les hébergés à domicile, elle se lie bientôt à Mokhtar, un enseignant iranien persécuté dans son pays. Relation qui se mue bientôt en un amour (?) impossible.
La double vie de Béatrice
Adapté librement du livre Calais mon Amour, de Béatrice Huret, qui raconte en quelque sorte sa propre histoire, Ils sont vivants, Jérémie Elkaïm, dont c’est la première réalisation choisit de tourner son film non loin de la commune Grande-Synthe (juste à côté de Calais) « connue » pour sa « jungle », et même si les noms de Calais et Grande-Synthe ne sont pas directement nommés ou (à peine) montrés.
Le sujet d’un coup de foudre entre un réfugié et une femme de « bleu » au cœur d’un point chaud qui cristallise la détresse et la non-gestion de l’épineuse question migratoire était pour le moins casse-gueule (on devine que l’on va parler du film pour de mauvaises raisons à deux mois de l’élection présidentielle française la plus droitisée de son histoire). L’autre écueil eut été une réalisation de type téléfilmesque avec images chocs, chromos tire-larmes, des personnages stéréotypés et une jolie fin courue d’avance où la morale est sauve et l’amour vainqueur. Le film n’est au final pas un biopic politique, ni le récit d'une histoire d’amour impossible.
Ils sont vivants est avant tout le portrait d’une femme à la moitié de son existence qui décide d’en reprendre le cours et de lui imprimer une direction qui porte enfin sa marque propre, quitte à devoir passer outre du qu'en-dira-t-on et s’éloigner de personnes qui refusent à d’autres le droit de changer. Elle passe aussi aux yeux de son entourage de « la femme de » à Béatrice, celle qui héberge chez elle, ceux que l’on ne veut pas connaitre et sur lesquels courent les clichés racistes les plus communs, partagés par un grand nombre d’ex-collègues de son mari. Sa relation avec son amant est aussi pour Béatrice une patiente (re)conquête sensible et sensuelle de son corps et de ses sens (on comprend que son mari qui avait 20 années de plus qu’elle, décidait de tout, lui filait à l’occasion quelques coups, davantage que du plaisir).
Au début de son engagement dans le camp, Béatrice rencontre Ingrid (Laetitia Dosch), qui semble dans un premier temps là prendre sous son aile, avant de véritablement vampiriser son espace et son temps de bénévolat. C’est elle qui force la main de Béatrice à héberger à la maison des réfugiés (dont Mokhtar) sortis en douce du camps (« pour une opération spéciale » dit-elle) qu’elle considère comme sa cantine voire son hôtel de passage ! Dans les faits, Ingrid est une espèce d’influenceuse moderne en mode O.N.G. de lutte, une vraie pique-assiette manipulatrice dont l’engagement humanitaire semble guidé par une sorte d’auto-héroïsation fictionnelle permanente. Une attitude qui conduit Béatrice à enfin poser un premier « non » fondateur quand elle lui ferme la porte au nez.
Dans les faits, Ingrid est une espèce d’influenceuse moderne en mode O.N.G. de lutte, une vraie pique-assiette manipulatrice dont l’engagement humanitaire semble guidé par une sorte d’auto-héroïsation fictionnelle permanente. — -
Mer tiède
Si le film reste prudent et sobre dans sa description du camp, son fonctionnement au quotidien et des populations qui y survivent avec ses fractures (ethniques/culturelles) internes, il pointe la détermination sans appel de ses migrants qui n’ont de toutes façons plus rien à perdre (prendre la mer sur des canots de plaisance, se coudre les lèvres et entamer une grève de la faim en signe de protestation…) et celle de certains bénévoles qui face au blocage de la situation au niveau politique n’hésitent pas à soutenir des actions de passage en force qui les mettent infraction grave vis à vis de la loi. Mais pour la majorité d'entre eux, c’est une poignée de locaux issus de toutes les couches sociales au courage magnifique, qui tirent au maximum sur leur temps disponible, qui réparent un peu les pots cassés d’une introuvable solidarité internationale dont les réfugiés font les frais. Et quand Béatrice commence sa seconde existence, elle est elle aussi pointée d’un doigt suspicieux par une partie de ses anciennes relations. Une profonde fracture franco-française qu’Elkaïm refuse de montrer comme insurmontable. Ainsi Franck (campé par le Belge Jan Hammenecker), ancien supérieur de son mari, qui bien que désapprouvant ce que Béatrice est devenue et conscient de ce qu’elle va en faire, lui apporte son aide pécuniaire de façon inconditionnelle, parce qu’il en a fait le serment.
Mais Ils sont vivants pèche aussi par manque de rythme et d’incarnation pour une partie de personnages. Le film sonne juste selon les moments puis résonne de façon artificielle à d’autres. Il échoue, et c’est son gros point noir, à montrer la transformation progressive mais radicale de Béatrice et de sa famille. On ne voit pas bien ce qui décide Béatrice à quitter son petit confort douillet et à s’engager, et on reste médusé quand tant chez sa mère que chez son fils, de les voir passer en quelque plans de l’incompréhension et de l’opposition parfois véhémente au partage contraint de leur espace domestique aux et larmes et grands câlins des mêmes au départ de Mokhtar.
Ils sont vivants, un film de Jérémie Elkaïm
France – 2022 – 1h52
Texte : Yannick Hustache
Crédits photos : Athena Films : https://www.facebook.com/AthenaFilmsWaterloo
Agenda des projections
Sortie en Belgique le 23 février 2022, distribution Athéna Films
Le film est programmé dans la plupart des salles en Wallonie et à Bruxelles
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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