The Immigrant : quand Chaplin débarquait aux États-Unis
Chaplin connut différentes périodes dans sa longue carrière. Il commença par tourner dans des comédies assez balisées à la Keystone. Prenant conscience de son talent, les producteurs lui laissèrent petit à petit plus de liberté artistique, lui permettant même de réaliser ses propres films.
Après un court passage par la Essanay, il signera ensuite à la Mutual où il posera les premières pierres de son génie « dramaticomique ». C’est en 1917 que Chaplin réalisera The immigrant, court métrage de 25 minutes, où l’acteur/réalisateur partage son expérience d’émigrant. La première partie du film se déroule sur un cargo en provenance de l’Europe et se dirigeant vers le pays de la liberté, ainsi nommé par le réalisateur. Les premiers plans, assez sombres, contrastent fortement avec les comédies dont Chaplin était coutumier : sur le pont du cargo, des migrants pauvrement vêtus sont couchés les uns sur les autres, deux femmes pleurent dans les bras l’une de l’autre… Puis le personnage de Charlot apparaît et apporte avec lui un contrepoint comique à la situation à priori tragique. Jeux d’argent, vol, repas de fortune, autant de situations où la bonhomie de ce singulier personnage est la bienvenue. Au milieu de cette misère palpable, il induit légèreté et enthousiasme, équilibrant ainsi la tonalité globale du film.
Cet espoir, que la statue de la Liberté incarne tout en toisant ironiquement les arrivants fraîchement débarqués, s’évanouit en une seule scène. À peine sortis du bateau, tout juste libérés de leur prison de métal, voici que les migrants se voient entassés tel du bétail derrière des cordons de sécurité. Charlot, d’un coup de pied bien placé, dénonce avec humour cette situation inhumaine et dégradante(*).
Débutant par ces quelques mots évocateurs : « After… broke and hungry », la seconde partie n’invite pas le spectateur à plus d’espoir. Certes, la terre de tous les rêves est atteinte, mais Chaplin nous rappelle que la réalité sociale reste la même, à l’Ouest comme à l’Est. Après avoir trouvé de l’argent en rue, Charlot décide de prendre un repas dans un restaurant. Là, il va être confronté à un serveur pour le moins tyrannique, comme un rappel de l’oppression et de la défiance des autorités vis-à-vis d’une classe sociale précarisée. Il est intéressant de noter que, pour la seconde fois dans ce court film, c’est par le biais d’un repas que cette triste réalité se traduit.
Avec The Immigrant, Chaplin initie un pan plus social de sa carrière. Mais sous ses aspects quasi documentaires, le film est aussi et surtout une romance où, pour la première fois, le personnage de Charlot entrevoit une relation durable. Peut-être peut-on voir dans cette union matrimoniale une métaphore de l’espoir secret que portait Chaplin pour son nouveau pays d’adoption.
(*) Cette scène où Chaplin botte l’arrière-train d’un employé du service de l’immigration lui sera reprochée par la commission McCarthy et précipitera son départ des États-Unis en 1952.
Cet article fait partie du dossier Migrer | Europe - USA.
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