INTO THE DRAGON
Pseudonyme explicite derrière lequel se dissimule l’ubiquiste Anglais Tim Simenon (DJ et producteur, sans lien avec l’écrivain belge), Bomb The Bass est bel et bien directement responsable d’une mini-révolution de palais au sein du foisonnement des courants électroniques en pleine expansion à la fin années 1980. Avec une légère avance sur la rude concurrence, Simenon se fend d’un Into The Dragon élaboré presque exclusivement sur base d’une gigantesque manne d’échantillons sonores (de samples) que notre homme a méthodiquement collationnés aux quatre points cardinaux de (presque) toutes les musiques et d’ailleurs (jingles TV/radio, pub, speeches, messages de répondeur), et soumis à un « traitement » tout à la fois virtuose et hédoniste, et qui va agir comme une étincelle créatrice auprès de milliers de « praticiens en herbe » du sampling. 1987 est en quelque sorte l’an 1 de la démocratisation de cette pratique, ou la première année où ses effets concrets se font directement sentir dans les classements des ventes de disques. Outre le facétieux single « Beat This » replacé à l’entame d’Into The Dragon, c’est un véritable tir groupé avec M/A/R/R/S (l’inépuisable « Pump Up The Volume ») ou S express (« Theme From ») qui officialise l’entrée en force de la dance music dans le mainstream. Autre symptôme de cette prise de pouvoir musicale, l’un des jeux vidéo les plus populaires de son époque (1989) – Xenon 2 : Megablast – joint le titre « Megablast (Hip Hop on Precinct 13) » à sa bande-son.
Collectionneur précoce – dès neuf ans selon les dires de l’intéressé –, Simenon se passionne d’un même élan pour le jazz, la soul, la pop, et plus tard le punk et le hip-hop. À quinze ans, il passe derrière les platines des clubs, s’offre progressivement le matériel ad hoc (samplers) et peaufine sa méthode qui consiste à « envelopper des sons » et à travailler « par couches ». Autrement dit, prélever des petites portions de samples de-ci de-là pour les refaçonner à sa sauce en les lestant (ou à l’inverse, en les élaguant) de beats, synthés, bruits, breaks de batterie… et les imbriquer ensuite au sein d’une trame qui satisfasse son exigeant agenceur, et paraisse, au travers de ses multiples soubresauts rythmiques et carambolages structurels provoqués, raconter à chaque fois une histoire un rien nébuleuse (vu la profusion des sources) mais toujours significative, humoristique et un brin ironique aux oreilles d’auditeurs attentifs. Et à la réécoute d’Into The Dragon, il n’est pas à douter que la soul sous averse (froide) et au taquet d’une boîte à rythmes de « Say A Little Prayer » a dû être écoutée avec attention du côté de Bristol (futur berceau du trip-hop) et que cette manière d’enquiller des basses sismiques hip-hop grassouillettes le sourire aux lèvres aura donné quelques idées à Norman Cook (Fatboy Slim) ou aux Chemical Brothers.
Par ailleurs, producteur estimé (Depeche Mode), « découvreur » de talents (Neneh Cherry lui doit une fière chandelle), continuellement bien entouré sur ses six albums parus depuis 1987 (la longue liste comprend Jah Wobble, Sinéad O’Connor, Jon Spencer, Mark Lanegan, etc.), et toujours ouvert à toute collaboration (un EP collaboratif avec les Français de dDamage a vu le jour en 2011), Simenon n’a cependant jamais reçu pour ses propres productions un écho public à hauteur des mérites reconnus par ses pairs. Dommage.
Hustache Yannick