Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

Itinéraire d’un enfant pas gâté : « La Cravate » de Mathias Théry et Étienne Chaillou

CRAVATE-18.jpg
Carnet de route d’une campagne présidentielle, celle de 2017, depuis sa base. Militant FN qui ne mégote pas ses efforts, Bastien aimerait se voir confier un poste bien « en vue » au sein de la hiérarchie de la section locale du parti. Mais pas facile de se faire une place quand on n’a pas le profil recherché et que les ombres du passé finissent toujours par obscurcir la voie que vous vous étiez tracée.

Sommaire

Français dans le texte !

Le regard haut, porté vers son interlocuteur (qu’on ne verra pas à l’écran) ou plongé sur le document posé sur ses genoux, la bouille bonhomme et le sourire franc, Bastien Régnier, la vingtaine débutante, lit et commente le texte qui lui est soumis. Celui-là même que l’on entendra, en voix-off, durant toute la durée du film.

Parfois, le jeune homme sourit puis s’étonne de découvrir entre les lignes quelques faits et détails qui semblent s’être évaporés de ses souvenirs ou ont échappé à son attention, s’interroge parfois sur le sens véhiculé par cette écriture plutôt littéraire, descriptive et froide et qui se tient à juste distance du registre émotionnel. Mais que ce soit face aux questions de son interlocuteur ou à titre de remarque générale dans sa lecture, Bastien fait rarement mine de ne pas se reconnaître dans le texte.

CRAVATE-12.jpg

« La Cravate » de Mathias Théry et Étienne Chaillou

Oui, c’est encore un documentaire à propos du FN (aujourd'hui RN), mais vu par la lorgnette d’un militant presque de base pris dans les remous d’une campagne présidentielle, de ses actions d’activiste politique tout dévoué « à la cause ». On le suit pas à pas dans la fébrile agitation des débuts à son départ du parti de Marine Le Pen pour suivre, après la défaite de la candidate face à Emmanuel Macron, Florian Philippot au sein de la dissidence Les Patriotes. Entretemps, on se sera fait comptable des multiples petites déceptions et coups de canif accumulés par Bastien tout au long de l’élection.

L’habit fait le militant

Car Bastien, c’est un type plutôt à priori anodin, un peu costaud, habillé à la ville de façon décontractée, secrétaire de circonscription d’une permanence départementale à Amiens dans la Somme. Deux ans après les attentats de 2015, dans une campagne présidentielle tendue et ouverte comme jamais – le futur vainqueur, Emmanuel Macron était un quasi parfait inconnu – le FN semblait avoir pour la première fois de son histoire de sérieuses chances de l’emporter.

Le parti, sous l’égide de l’énarque et numéro 2 du FN, Florian Philippot, met patiemment en place une stratégie de dédiabolisation, écartant les éléments trop radicaux, instables ou possédant un passif judiciaire, des postes de grande visibilité, lissant (quelque peu) ses discours et slogans, et se choisissant des profils de responsables politiques « propres » qui inspirent la confiance.

CRAVATE-07 (2).jpg

« La Cravate » de Mathias Théry et Étienne Chaillou

Éric Richermoz, supérieur de Bastien, est de ceux-là. Même âge mais une gueule de gendre idéal, sapé tel un cadre supérieur, et rompu au dialogue « serein » avec tout type d’interlocuteur face auquel il affirme sans sourciller que le FN n’est pas un parti d’extrême droite !

Bien que militant au FN depuis des années, Bastien, natif de la région de Beauvais, tait toujours en famille son appartenance à la mouvance frontiste. Même chose au boulot, lui qui travaille dans un centre de loisirs non loin de son village natal où il s’investit dans une association naissante de Laser Quest locale, sous le pseudo d’Hamerz.

Fortifié de cette expérience créatrice, Bastien se voit confier la tâche de développer la chaîne de Florian Philippot. Mais postée trop tôt par rapport au moment prévu, sa première réalisation n’obtient pas vraiment l’effet escompté.

CRAVATE-08 (1).jpg

« La Cravate » de Mathias Théry et Étienne Chaillou

Un peu engoncé dans son unique costume, il observe alors les us et coutumes des huiles d’un parti au sein duquel il tente, par mimétisme, et habité d’une force de conviction personnelle nouvellement acquise, de se prendre au jeu des intrigues politiciennes, briguant sans le dire, une place bien en vue au sein du mouvement de Le Pen/Philippot. Il est à son tour bientôt propulsé à la tête d’une petite équipe de militants tandis qu’il court les meetings du numéro 2 du FN.

Chronique d’une défaite annoncée

Mais le désenchantement n’est pas loin. Les intrigues de palais et les médisances perpétuelles entre gens de même parti finissent par le gagner et par peser sur son humeur quotidienne. Puis, au détour d’une confidence maladroite en présence de la caméra, son passé caché de skinhead et un fait de délinquance armée suivi de conséquences pénales rejaillissent. Plutôt gênant au sein d’un FN soi-disant « apaisé ».

Il s’en défend devant son interlocuteur, cette fois, avec énergie et force de conviction. Ces années en marge sont le ferment de sa colère et la matrice des idées qui l’ont conduit au FN. Mais elles le placent à l’écart des postes convoités par Bastien, bientôt réduit à ambiancer et chauffer les militants lors des meetings électoraux de la présidente-candidate, et à vérifier qu’aucune irrégularité n’est constatée dans les bureaux de vote au second tour de l’élection présidentielle 2017.

Et pourtant, sa motivation ne faiblit pas entre les deux tours, ni face à une militante macroniste devant laquelle il condamne publiquement le racisme au FN, ni dans sa participation à un coup d’éclat médiatique où Marine s’affiche aux côtés d’ouvriers en grève.

Douché par le résultat de l’élection, le « fidèle » Bastien, dans la foulée de son ex-supérieur Éric finira par quitter le parti et suivre le responsable désigné de l’échec de Marine Le Pen à l’élection présidentielle.

Plus qu’un énième reportage sur un parti peu fréquentable mais désormais bien implanté dans le paysage politique et médiatique sur le plan des idées, La Cravate montre sans juger ni excuser le parcours d’un « bon gars… qui se raconte », en quête de reconnaissance dans un moment historique crucial. Lors des meetings politiques, les réalisateurs font le choix de s’en tenir à suivre Bastien, et dans une mesure moindre, Éric, dans le feu de l’action militante, ne le perdant jamais de vue, tout en coupant le son des ténors du parti que l’on ne voit ou aperçoit qu’un bref instant dans leurs exercices oratoires.

1920-1001-max.jpg

C’est aussi la chronique d’un triple échec. Celle d’une normalisation ratée mais qui a tout de même mené le bientôt renommé Rassemblement national au second tour de l’élection présidentielle (après Le Pen père en 2002). Celle d’un binôme politique local, Éric/Bastien, aux ambitions certes différentes, mais qui tous deux choisissent le mauvais cheval. Philippot et son parti dissident sont des confettis sur le terrain politique de 2020. Enfin, échec pour Bastien qui ne pourra ni convaincre ses pairs de formation, ni faire oublier la tache noire de son C.V.

La Cravate ne fera jamais l’homme ! Et c’est bien mieux comme cela !


Yannick Hustache


Agenda des projections

Cinéma Nova (Bruxelles)
une petite dizaine de projections du vendredi 18 septembre au dimanche 25 octobre 2020

Le Churchill (Liège)
trois séances du vendredi 18 septembre au lundi 21 septembre

Cameo (Namur)
séance unique le lundi 21 septembre 2020 à 20h45

680-924-max.jpg

Classé dans