ÉVÉNEMENT LE PLUS IMPORTANT DEPUIS QUE L'HOMME...
Marcello Mastroianni ne se sent pas bien, il souffre de vertiges, de malaises et n'arrive pas à se concentrer sur son travail de moniteur d'auto-école. Accompagné de son épouse, Catherine Deneuve, il consulte une généraliste, Micheline Presle, qui leur annonce l'heureux événement : il est « enceinte ». On consulte alors Raymond Gérôme, alias le professeur Gérard Chaumont de la Tour, spécialiste, qui leur explique que tout va bien. Les futurs parents rassurés vont alors prévenir leur fils qu'il n'est bientôt plus enfant unique. Ce dernier est plutôt content.
La simplicité avec laquelle tous les personnages, du plus concerné au plus badaud, acceptent cet « événement » donne la couleur du film. C'est une fable, un conte, comme les aime Jacques Demy. Et comme dans tous les contes, on ne remet pas en question le début de l'histoire, si tarabusté qu'il fût. Pas un instant dans le film, en dépit du titre, cette révolution ne provoquera plus de remous qu'une conversation de bistrot ou de salon de coiffure. La nouvelle est d'importance, certes, mais voilà, rien de grave, le père et l'enfant se portent bien. Rien ne permet d'expliquer aujourd'hui les raisons de cette exception aux lois de la nature, mais gageons qu'il ne s'agira pas d'une anomalie isolée. On y voit au contraire un changement plus en profondeur, un échange des rôles à plus long terme. Et effectivement, les cas se multiplient, apportant leur lot de situations cocasses, de problèmes inattendus. Bien sûr, des solutions d'urgences vont devoir être trouvées qui répondent à cette conjoncture nouvelle; des modifications sérieuses vont être dictées par les circonstances. Et dans les bistrots, comme dans les salons de coiffure, on s'inquiète ou se réjouit, selon, de cet état de choses inédit. L'origine du phénomène est attribuée, selon, aux « satellites qu'ils envoient dans l'espace », à la montée du communisme ou à la nourriture et est rapidement acceptée comme « toujours inconnue ». Elle est en grande partie expliquée, comme le fait Catherine Deneuve à son fils, il s’agirait pour les hommes, de « donner un petit coup de main aux femmes, qui sont à notre époque, bien occupées, elles aussi ». Et dans les bistrots comme dans les salons de coiffure, on s'insurge ou se félicite de cette « décision », selon. L'on trouve qu'elles exagèrent, avec leur libération. Ou l'on trouve qu'il était temps « que ces feignants mettent la main à la pâte », et on se réjouit que, maintenant que « c'est pour leur pomme », la contraception et l'avortement vont être légalisés en un rien de temps.
Nous sommes en 1973, et Demy nous présente une fable féministe, inspirée par son époque et par son épouse, Agnès Varda. En 1971, Catherine Deneuve et Agnès Varda sont toutes les deux enceintes et Marcello Mastroianni et Jacques Demy se retrouvent régulièrement à les admirer et presque les envier, au point de vouloir, avec ce film, imaginer ce que serait leur vie si les rôles étaient échangés. 1971 est également une année agitée pour le mouvement féministe. Le MLF a deux ans et une série de combats sont encore d'actualité. La contraception a été légalisée quatre ans auparavant, mais l'avortement reste criminalisé. Il ne sera légalisé qu'en 1975 par la loi Veil. Sans donner l'air de prendre parti un instant, Jacques Demy donne la voix aux discours féministes de son temps. À travers les situations les plus invraisemblables, il met face-à-face les arguments féministes et les contre-arguments, avec un fort penchant à donner le beau rôle aux premiers, et à exposer la nécessité d'une révolution, ou tout au moins d'un changement. Mais un changement qui prendrait la même forme que dans son film, grossesse masculine exceptée. Un changement en douceur, accepté avec la même légèreté que celle de ses personnages. Un changement en profondeur, mais dans la plus grande sérénité, avec la conscience que le progrès est une évidence et qu'il est inévitable. Demy cherche le consensus, la réconciliation. Il suffit pour avancer que tout le monde soit d'accord. On peut regretter que Demy ait modifié la fin du film, et n'ait pas poursuivi jusqu'au bout cette potacherie. Mais malgré ce « retour à la normale » un peu cavalier, l'essentiel a été dit. La fable aura au moins permis d'amorcer le débat, de poser des questions, et peut-être Demy l'espère-t-il, d'entamer, en douceur, une tranquille révolution.
Benoit Deuxant
Film détesté autant par les défenseurs de Jacques Demy que par ses détracteurs, Parking prête, il faut bien l'avouer, le flan à la critique. Là où Demy avait jusqu'ici fait preuve de subtilité et réussi à imposer, ce qui n'était pas gagné, l'idée d'un film chanté, par exemple, il se laisse ici déborder par une exubérance et une vulgarité très dans l'air du temps. Nous sommes dans les années quatre-vingt et Jacques Demy plonge avec un certain abandon dans les pires travers de l'époque. Un mauvais goût généralisé, des costumes à la musique, règne en maître sur le film. Mais le pire n'est pas là !
Parking est une variation sur le mythe d'Orphée, un mythe qui a suivi Jacques Demy durant toute sa carrière, de « Model Shop » au « Joueur de flûte ». Orphée y est hélas figuré par Francis Huster campant avec une outrance grotesque un chanteur à mégasuccès, psychotique et vaniteux. Cabotinant de scènes pathétiques de poète maudit en séquences pitoyables de concerts à Bercy, avec briquets allumés et lightshow complet, Huster atteint des sommets de ridicule rarement égalés. Son interprétation caricaturale de star adulée, ses chansonnettes édifiantes (on se demande qui est parodié dans ses bluettes, dont la platitude est grassement soulignée par une emphase écœurante) et ses monologues égocentriques plombent le film jusqu'à l'irrémédiable.
Et pourtant, par-delà tout cela, ce film conserve des aspects fascinants et des passages de toute beauté. En marge du monde « réel » d'Orphée, se trouve l'enfer. Demy le situe dans des souterrains sans couleurs, ou plutôt bleus et rouges. C'est l'époque de la sortie de « Tron » et Demy en reprend les couleurs néon. Les morts y viennent faire la queue devant des fonctionnaires impassibles, examinant leur dossier avec une morgue rappelant la Stasi ou un aéroport français. Sur l'enfer règne Hadès, interprété magnifiquement par Jean Marais. Demy retrouve ainsi son acteur de « Peau d'Âne » et s'offre un hommage à un de ses propres maîtres: Jean Cocteau. Si ces quelques séquences d'enfer ne sauvent pas l'intégralité du film, elles restent toutefois de très beaux moments de cinéma formel.
Benoit Deuxant