LADY OSCAR
Chose rare dans la carrière de Jacques Demy, Lady Oscar est né d’une commande. En 1978, la firme japonaise Shiseido décide de faire réaliser une adaptation du manga « La Rose de Versailles » de Riyoko Ikeda, énorme succès de librairie au Japon. Elle décide pour cela de s’offrir les services de Demy à qui elle confie un budget et un casting, principalement anglais, à charge pour lui de convaincre les autorités françaises de le laisser tourner, sur place, au château de Versailles. Le film sera lui aussi un succès relatif… au Japon; il faudra par contre attendre plusieurs années avant de le voir distribuer en France.
Le film, comme le livre, reprend quelques-uns des thèmes classiques du shojo, le manga pour jeunes filles. Élevée comme un garçon par un père tyrannique craignant de ne pas avoir de descendance mâle pour lui succéder, la jeune Oscar devient capitaine de la garde royale. Elle se voit confier la charge de la protection de Marie-Antoinette. C’est la fin d’une époque. Elle et son ami d'enfance, André, vont se voir confrontés aux prémisses de la Révolution. Il s’agit toutefois moins ici de réaliser un film historique que d’adapter fidèlement un manga. Les erreurs historiques abondent et il serait oiseux de les rechercher, les personnages sont certes inspirés de figures historiques, mais résolument détournés dans leur caractère comme dans leur chronologie. Un dualisme manichéen s’installe immédiatement dans le film, la noblesse y est odieuse et caricaturale, le peuple souffre avec dignité. Seule Lady Oscar se trouve entre deux feux, comme elle se trouve entre deux sexes. Sa naissance et sa fonction la font côtoyer de près la reine et sa cour, mais une certaine sympathie la gagne pour cette populace qu’elle voit, de loin, pâtir de l’inconstance et de la brutalité de l’ancien régime. Elle va passer outre les préjugés et les règles de sa condition pour «fraterniser» avec la cause révolutionnaire, jusqu’à la trahison.Mélodramatique et échevelé, le film voit Demy brosser à la chantilly un portrait de Versailles en rose et bleu où il ne faut chercher ni cohérence ni exactitude. Dans le manga, comme dans un conte, il est demandé au spectateur un peu de cette « suspension of disbelief », cette crédulité volontaire, qui le fait accompagner l’histoire sans poser de questions. Et qui demande, comme dans le film de sabre japonais, et surtout chinois (voir L’hirondelle D’or, de King Hu), d’accepter les « travestissements » d’Oscar et la voir homme lorsqu’elle est en uniforme et femme lorsqu’elle revêt ses plus beaux atours, simplement parce qu’on nous le dit. Qui est dans le secret ? Qui la voit homme; qui la voit femme? Demy s’accommode fort bien de l’ambiguïté du personnage, source intarissable de quiproquos dans le manga, et s’amuse à refuser de choisir.
Benoit Deuxant