CHATTE À DEUX TÊTES (LA)
Commentaire concernant LA CHATTE À DEUX TÊTES :
Ça se présente comme un documentaire. Une caméra qui répertorie
un lieu réel, sa configuration, filmant ses caractéristiques en
lien avec les personnes
qui viennent y passer du temps (en donner ou en perdre). La caméra capte
aussi la part fantasmatique du lieu et des personnes y évoluant. C’est
normal dans un cinéma porno. Il n’y a pas d’histoire, pas
d’intrigue, pas de scénario (sauf que l’absence de scénario,
c’est encore un plan, une structure pour filmer, raconter, saisir), pas
de héros. Le va-et-vient des clients dans le cinéma, leurs manèges,
le passage à la caisse, la descente vers la projection. Comment ils se
projettent, justement, dans cette salle de désirs, un vieux cinéma
de quartier. Comment ils y projettent leurs désirs (et quand la bande
casse, la lumière revient sur un écran blanc, il n’y a plus
aucune projection, tout s’arrête, plus personne ne se projette nulle
part). La salle palpite, on sent l’odeur de ses pénombres, de ses
boiseries, de ses tissus, de ses toilettes, de ses refoulements. De ses aspirations
kitsch et vieillottes à vouloir ressembler à l’antichambre
du paradis du sexe. Plutôt brassage de refoulements qui viennent s’entasser,
se partager par fétichisation de l’écran et des cris universels
qui en émanent. Ça sent aussi la sueur, la salive, le foutre.
Sur fond de pornographie hétérosexuelle, un lieu de drague homosexuelle
avec ballet de travestis. Une communauté, quasi un monde clos (c’est
très ritualisé, organisé, avec codes et parades). Ce n’est
pas un film qui ‘romantise’ la pornographie ni en dénonce
la dépravation. Un film sans morale ni jugement. Un film qui regarde
et accorde de l’attention à un certain public qui s’engouffre
là, fasciné par ce qui s’y passe. Fasciné par ce
qu’il espère saisir là. Fascination que le mirage pornographique
entretient à peu de frais. Le réalisateur montre avec humanité
le besoin exacerbé de cette atmosphère pour sentir, acter leur
lien au sexe. Se toucher la queue. Se regarder, s’épier désirer
dans le vide, en se branlant, ce à quoi se résume finalement ce
qui se saisit là. Le mirage est maigre, pourtant il entretient une activité
fébrile. Ce n’est que vue de l’extérieur, sans partager
la fièvre des accros, sans la conviction face au mirage qui est au principe
de cette communauté de l’ombre, que la branlette semble un peu
désuète ! Puis, quand même, des bribes d’histoires
s’inscrivent dans le lieu, une mémoire s’y grave, avec le
retour de fidèles clients. Esquisse d’histoires symbolisées
par les échanges entre les habitués et la caissière. Des
signes de connivences, de reconnaissances qui vont atténuer le discrédit
social jeté sur le lieu et ses pratiques. Et quand il y a plus d’affinités,
quelque chose d’autre s’amorce, de relativement rare. Des bribes
de confidences qui se nouent autour de la question de comment trouver son bonheur,
prendre le plus de plaisir. Tout en sachant qu’à force de traîner
là, ben, on attrape sans doute des « déformations ».
En tout cas s’ébauchent une certaine philosophie et liberté
de ton, sans masque ni enchantement, pour traiter et confronter des dispositifs
à jouir. Sans désespérer...
(Pierre Hemptinne, Charleroi)