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Pointculture_cms | critique

13 AURORES

publié le

Grand auteur de la chanson française, mais dans l’ombre, au service des autres… On lui doit ainsi quelques grandes réussites de Bashung, (« Fantaisie militaire »), mais il donne aussi ses parolesà Dutronc, Hallyday, Paradis… Par voix d’autrui […]

Grand auteur de la chanson française, mais dans l’ombre, au service des autres… On lui doit ainsi quelques grandes réussites de Bashung, (« Fantaisie militaire »), mais il donne aussi ses parolesà Dutronc, Hallyday, Paradis… Par voix d’autrui interposées, c’est un personnage couvert de prix et de succès. Pour la première fois, il enregistre à visage découvert dans un album que pour lui, qu’avec lui ! Le besoin de se retrouver seul avec son talent, pour se reconstituer, au lieu de le disperser au gré d’autres stars ? Pour accentuer le côté, « je me retrouve seul face à moi-même », il se présente dans une version dépouillée, juste le piano et le chant. Comment ça se passe, ce changement de statut ? S’il a brillé dans ses contributions incarnées dans des personnalités fortes aux styles très différents (entre Dutronc, Hallyday et Bashung, y a pas photo…), la première impression que laisse son solo est curieusement celle d’un manque, comme si ces textes chantés par leur auteur manquaient de caractère, privés de l’étoffe et de l’enveloppe d’un faire-valoir d’un statut plus vedette. Ils sont nus, privés du génie de l’interprète, il leur reste juste l’élégance, le goût pour des subtilités un peu passées, des emphases ou des naïvetés un peu vieille chanson française, comme marque de fabrique. Et c’est de ce flacon que, petit à petit, s’écoule un parfum racé et personnel. Musqué même ! « Garcia Lorca Federico/ Fait des ricochets/ Sur l’encre bleu marine. » Les gouttes et gerbes discrètes de piano sur la proue vaillante des chansons ont un air irrésistible de musique de salon flottant sur un grand paquebot, pour un climat de dérive romantique. Justement, il nous emmène en croisière, « Voguer voguer/ Voguer vers hier », au creux d’une ténébreuse intimité. Le paquebot vaguement délabré mais portant beau passera sans ciller, juste un coup de sirène, parmi les vitrines du Muséum où «Il y a des femmes/ En parfait état de conversation». Femmes qui certainement tressaillent en entendant cette voix grave, chaude et veloutée, juste ce qu’il faut de rocailleux et de blessure. Un timbre qui sonne juste dans ce piano-bar transcontinental, envahi par des reflets crépusculaires, cuivrés. Du vague à l’âme de charme déployant une belle langue et ses solitudes confessées dans des négligés bien sapés. L’âme du chanteur ainsi posée retourne, enveloppée dans son manteau de notes blanches et noires, sur les lieux du crime, revient hanter son muséum d’amours, son casino de sentiments risqués, d’affaires de cœurs jouées sur un coup de dé, flirt océanique et poker menteur. Et de pratiquer l’art du couteau dans les plaies, avec tendresse, avec vacherie. « Châtelaine/ Le dimanche s’ennuie/ Elle se tricote/ La laine et pelote/ ses secrets si salés ». C’est en tisonnant ses souvenirs sensuels encore douloureux qu’il tente de décanter les vibrations positives d’aurores espérées, soupirées. « Elle s’aligne aux vibrations/ Montant du carrefour giratoire/ Elle s’allonge et balance l’émotion/ À l’éboueur du soir ». Treize essais d’aurores incertaines titubant sur le pont agité par le roulis, drapées dans leurs mots impeccables, la couenne mal rasée, un arôme de whiskey tourbé flottant entre voyelles et consonnes. C’est là que se manifeste la «touche» de Fauque, dans le jeu de mot, le double sens qui, par pudeur, dévie, au dernier moment, une partie de la surcharge émotionnelle vers le paratonnerre du vers qui rythme et syncope le sens premier des mots, la métrique prenant le relais du palpitant par un double sens qui opère comme un masque. Une distraction pudique maladive qui l’oblige à de fameux détours avant de présenter des aveux, jamais tout à fait sans double tranchant, jamais complètement désarmés, mais ce sont ces détours qui forment l’esthétique de ce dandy sentimental : « J’ai trouvé dans la poubelle/ Les histoires que j’t’ai pas écrites/ Elles étaient presque aussi belles/ Que celles qu’tu m’as pas dites ». Ou des traits à dormir debout qui brouillent les pistes, on ne sait plus qui manque à l’autre, qui appelle l’autre, une passe très « à la Bashung » : « Le manque de toi me rend sourd/J’me siffle dans l’appeau/J’réponds pas à mon appel ». Où le « manque de toi » semble la souffrance première, mais le plus déterminant étant l’impact sur la perception de soi et la perte de contrôle. Corrosif dans une voix de velours. Pendant ce temps, la croisière continue.
PH

 

Selec

 

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