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Pointculture_cms | critique

J'AI TRÈS MAL AU TRAVAIL

publié le

Près de trente ans séparent ces deux documentaires : tourné en 1978, « La voix de son maître » donnait la parole aux chefs d'entreprise; « J'ai très mal au travail » s'intéresse de près aux effets pervers de l'activité professionnelle.

Sommaire

 

Ni Dieu, ni maître...

En 1978, Nicolas Philibert et Gérard Mordillat rencontrent douze chefs d'entreprise, et non des moindres : de L'Oréal au Club Med en passant par IBM et Paribas, les établissements dont il est ici question représentent la France des trente glorieuses, et les propos tenus par leurs dirigeants ont une valeur documentaire d'autant plus estimable que ce film fut interdit par Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand sous leurs présidences respectives. Il s'agit donc bel et bien d'un document rare et précieux.

La voix de son maître s'ouvre sur un tour de table autour du titre du documentaire - un titre qui fait grincer des dents les hauts pontes présents car, d'une part, la connotation péjorative du terme « maître » les dérange fortement et, d'autre part, ils sont surtout embarrassés du fait que ce titre emprunté à la publicité fasse immédiatement référence à un chien. Car ces hommes (et cette femme) se voient davantage comme « patrons » que comme « maîtres » et leurs salariés ne sont certainement pas des chiens !

voix maîtreAprès cette introduction plutôt bon enfant, les douze chefs d'entreprises sont interrogés en privé, face caméra, les cinéastes se contentant de rendre les monologues de leurs vis-à-vis, sans aucune question ni commentaire. Si la forme austère et quelque peu monotone peut ennuyer, les propos tenus sont, eux, absolument passionnants : entre ceux qui s'efforcent de garder leur entreprise à taille humaine et ceux qui, avec quelques années d'avance, vantent les mérites du commerce à l'échelle mondiale, ce sont toutes les facettes du capitalisme qui sont présentées ici.

Entrecoupées d'images prises au sein des dites entreprises, les entrevues avec ces patrons offrent un formidable terrain de réflexion sociologique: leurs propos sont denses, réfléchis, et on doit leur reconnaître un véritable talent pour la rhétorique. S'ils sont bien plus que de simples beaux parleurs, ils excellent néanmoins, et tous autant qu'ils sont, dans l'art de la langue de bois, notamment lorsqu'il est question des syndicats.

 

Quand le travail tue...

La langue de bois est la grand absente de J'ai très mal au travail. Partant de statistiques alarmantes (la France compte 500000 personnes victimes de harcèlement sexuel, deux millions de salariés maltraités ou harcelés moralement, deux personnes tuées chaque jour dans des accidents du travail...), le réalisateur Jean-Michel Carré a rencontré des salariés, psychologues, politologues et experts du monde du travail pendant plus d'un an pour aller au fond d'une vérité qui dérange: dans la course au rendement et à la compétitivité, l'être humain se retrouve bien souvent sur le carreau. Chiffres à l'appui, le réalisateur prouve que le stress, le harcèlement et la violence sur le lieu de travail peuvent mener à la mort, et différents intervenants sont là pour en témoigner.

Mais le sérieux du propos est largement contrebalancé par une légèreté de forme: les entretiens sont entrecoupés d'extraits de films et de publicités drôles à souhait, permettant au spectateur de souffler un peu entre deux témoignages. Car ces témoignages font mal:  la peur du chômage pousse à une compétition forcenée entre « collègues », l'individu se transformant doucement, mais sûrement, en machine à sous pour le compte de l'entreprise. À visage découvert ou non (avec une mention spéciale au bonhomme qui a enfoncé sa tête dans un écran d'ordinateur!), des salariés reviennent avec pudeur et dignité sur leur vécu, souvent douloureux, parfois franchement funeste.

Présenté sous forme de coffret comprenant deux DVD, J'ai très mal au travail est un documentaire décapant, inquiétant et absolument nécessaire. En bonus, le spectateur retrouvera l'intégralité de certains entretiens dont le film ne reprend que de brefs extraits, ainsi qu'un moyen-métrage de Basile Carré-Agostini, Cinq hommes et un garage.

 

Catherine Thieron

 

 

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