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Pointculture_cms | critique

SYSTÈME POUTINE (LE)

publié le

Fascinant parce que fasciné, un documentaire ambitieux qui prétend décrypter la personnalité du chef d’état russe. Une démonstration à l’image de son sujet : autoritaire.

 

Fascinant parce que fasciné, un documentaire ambitieux qui prétend décrypter la personnalité du chef d’état russe. Une démonstration à l’image de son sujet : autoritaire.

21Le documentaire s’ouvre et se referme sur un tapis rouge déroulé en l’honneur de Vladimir Poutine. Lorsqu’il gravit les marches du Kremlin de son pas martial, c’est irrésistiblement aux défunts tsars qu’il faut l’identifier; lorsqu’il traverse la foule, passe ses troupes en revue, dirige un conseil, assiste à un sommet; lorsqu’il prend la parole ou la reprend et que, sur une peinture ancienne, sa tête réapparaît, grotesquement fixée au corps du tsar, la thèse du Système Poutine s’annonce haut et fort, signant le moindre plan. Que cette thèse ne soit ni originale ni dialectique (elle ne propose aucune contradiction) importe peu: l’homme est notoirement impopulaire. Le tableau de Poutine en autocrate, rivé à son obsession de restaurer « la grande Russie », est un lieu commun, aussi banal que la mention des déficiences intellectuelles de G. W. Bush, ou du franc-parler quelque peu cavalier de Nicolas Sarkozy. C’est une évidence et J. M. Carré ne nous incite pas à affiner notre point de vue.

Après un premier documentaire consacré au naufrage du sous-marin Koursk, le réalisateur se focalise cette fois entièrement sur sa cible. À un rythme effréné, les images se succèdent: archives, actualités, photos, interviews, extraits de films, peintures, caricatures. On sent que toutes les sources ont été passées en revue, soigneusement sélectionnées, triées - et remontées. Sous couvert d’un parcours chronologique concrètement irréfutable, l’ascension de Poutine, préméditée, maîtrisée, emblématique, prend des proportions hégéliennes: l’histoire se présente comme l’objectivation d’une volonté. Le réalisateur montre comment, en jouant la discrétion et le profil bas, Poutine a mystifié son entourage, laissant croire aux oligarques qu’il leur laisserait le pouvoir, avant de les en écarter une fois élu. Et de substituer une oligarchie par une autre, la sienne, constituée d’ex-collègues membres du KGB / FSB, contrôlables et idéologiquement proches. La mainmise sur les trois pôles stratégiques essentiels que sont l’énergie, les médias et le commerce des armes, assurerait à la Russie et, par extension, à son dirigeant, une position géopolitique de premier ordre, capable de mettre en déroute la puissance américaine.

Cette démonstration haletante pose de nombreux problèmes. D’abord, une évidence : l’oubli de la Chine. Dans sa fièvre, le réalisateur se concentre tant sur la Russie, qu’il élude les autres pays émergents dont l’importance croissante sur l’échiquier mondial relativise celle de la Russie. Au niveau de la forme, la vitesse du documentaire lui permet de brasser une quantité impressionnante d’informations tout en restant aussi vague sur le contenu que ce que propose généralement la télévision (avant le DVD, c’est d’ailleurs son premier canal de diffusion). Par contre, l’accumulation des images, et surtout leur hétérogénéité (cinéma/archives, peintures/photos), provoque des mélanges et des inserts assez peu déontologiques. Les nombreuses interférences de l’iconographie communiste nourrissent la thèse plus que l’objectivité. Parallèlement, si l’ordre de la narration est strictement chronologique, la diffusion des documents l’est beaucoup moins, illustrant une fois de plus un propos prédéterminé. À ce déferlement d’images s’ajoute encore la voix off, dont le récit incisif et tranchant ne laisse aucune place au questionnement, au doute méthodique. Tout cela ne serait pas si grave si le sujet n’était pas déjà largement consensuel. J.M.Carré se flatte de dénoncer le personnage, mais il n’enfonce que des portes ouvertes. Ne nous y trompons pas. Malgré le muselage de la presse, les Russes n’ignorent nullement le caractère autoritaire de Poutine. Un exemple, tiré du Courrier International (édition du 15/05/08), qui traduit un éditorial de Leonid Poliakov, docteur en philosophie et politologue: « … toute personne étudiant le droit [comme Poutine et le nouveau président, Medvedev] développe involontairement une pensée systématique. Par ailleurs, le droit est une matière qui contribue à forger un mode de pensée paradoxal, à la fois impersonnel et tourné in fine vers la défense de l’individu (…). Avec l’investiture de Dmitri Medvedev, le domaine Russie vient de se doter d’un grand ordonnateur de systèmes, avec les possibilités illimitées qui en découlent pour les utilisateurs de systèmes que nous sommes. Nous l’avons bien mérité ! ». Sans pour autant accréditer ce point de vue, le documentaire aurait dû l’intégrer. Manifestement, le réalisateur ne tient pas compte des divergences de mentalités entre l’Europe Occidentale et la Russie, ni du fait que si les Russes se réservent le droit de critiquer l’autorité, ils n’y sont pas pour autant opposés par principe. L’efficacité du documentaire nuit à sa crédibilité : le dispositif de J.M.Carré contribue à fixer le portrait d’un homme hors du commun, redoutablement intelligent, toujours triomphant. Poutine en avait-il vraiment besoin ?

Largement financé par l’Europe (dans quel but ?), très bien diffusé, traduit en plusieurs langues, Le système Poutine n’a pas manqué de susciter la colère des Russes, réaction prévisible, dont le réalisateur se sert ensuite pour avaliser le contenu de son travail. Il résume ainsi sa démarche: « Ce qui est fascinant dans ce genre d’investigation où votre seule arme véritable en tant que cinéaste est de prendre le temps, ce dont les journalistes ont rarement la possibilité, c’est de découvrir dans des documents relativement accessibles, car officiels, des informations qui, regroupées avec d’autres, tout aussi officielles, démontrent le contraire de la thèse qu’ils sont censés illustrer .» C’est assez drôle, car c’est exactement ce qu’il finit par faire, lui aussi. Surtout, il montre clairement que les documents sont une matière malléable dont il a librement disposé. Si son intention est de donner à réfléchir sur la personnalité de Poutine, il obtient exactement l’inverse. Son document est un pamphlet, très convaincant, mais qui ne laisse la place à aucune critique - par conséquent manipulateur.

Catherine De Poortere

 

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