PRESSENTIMENT (LE)
Charles Benesteau, avocat au barreau, a décidé de tout plaquer pour aller vivre dans un modeste appartement de banlieue. Il y passe ses journées à coucher sur papier des pensées inspirées par son passé ou son quotidien. Il vit désormais entouré de l'incompréhension de son entourage: sa famille qui ne comprend pas pourquoi il décide de renoncer à sa vie de bourgeois privilégié, son nouveau voisinage pour qui l'arrivée d'un tel personnage semble suspecte autant que providentielle. Mais Charles n'aspire qu'à se couper du monde. Il tente de s'y soustraire, d'éviter les interactions avec le présent. Tout au plus entretient-il avec les autres des contacts désintéressés, libérés de tout besoin de reconnaissance. Au milieu de cette comédie humaine où chacun essaie vainement d’être quelqu’un, lui n’aspire qu’à s’affranchir de toute identité castratrice.
Le Pressentiment est d'abord un roman d'Emmanuel Bove écrit dans les années trente et transposé ici dans un Paris contemporain. Le film garde un ton résolument littéraire et son adaptation se veut assez littérale. On pourrait d’ailleurs lui reprocher une certaine lourdeur dans ses monologues en voix off souvent trop explicatifs ou descriptifs. Mais au même titre que les cadrages serrés sur le visage de l'acteur, ils visent avant tout à figurer l'intériorisation du récit. Le film repose sur cette distance qui existe entre l’introspection du propos et le monde extérieur source de conflits.
Excepté un court métrage réalisé dans les années nonante, c'est la première réalisation de l'acteur Jean-Pierre Darroussin. Si le passage derrière la caméra ne se fait pas toujours avec la plus grande réussite, force est de constater que, s'il n'est pas exempt de tout reproche, ce premier film porte indéniablement une touche très personnelle et un attrait particulier. Au fur et à mesure que les séquences avancent, le magnétisme opère et le spectateur se laisse peu à peu envahir par la mélancolie latente du métrage. Léger et peu prétentieux, le film pose néanmoins quelques interrogations existentielles et un regard social, certes plus anecdotique mais non dénué d'intérêt.
Quelle emprise avons-nous sur nos vies ? Que représente cette liberté à laquelle nous aspirons tous ? Vastes questions. Mais à l'instar de Charles Benesteau, le film préfère aux lieux communs et aux facilités contemporaines les chemins détournés que l'on arpente sans but précis. Ainsi ce personnage navigue-t-il aux confins de la réalité qui tente de l'objectiver. Il est absent. Au milieu des voitures qui s'entrecroisent dans un Paris en pleine effervescence, il flâne sur son vélo, le regard dans le vague. Ainsi va le film, parsemé de symboles et d'inserts allégoriques plus ou moins judicieux; la ville devient un personnage a part entière, l'image même de ce monde pétri d'indifférence et de cette futilité bien humaine.
Sans être foncièrement pessimiste, le Pressentiment nous ramène à certaines vérités, à la fois dures et salubres, qui jalonnent le quotidien de tout un chacun.
Son auteur l'avait déjà bien compris en son temps; la vraie liberté ne se trouve qu'une fois au bout du chemin. Ironiquement c'est dans la mort que tous se rassemblent et paraissent s'unir comme pour jalouser secrètement, inconsciemment peut-être l'état de liberté nouvellement atteint par leur semblable.
Avec ce premier long métrage, Jean-Pierre Darroussin délivre un film qu’il serait dommage de vouloir intellectualiser à tout prix. Non pas en raison de son manque de substance, mais bien parce que ce serait lui enlever ses plus beaux attributs: sa spontanéité et sa franchise.
Michaël Avenia