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Pointculture_cms | critique

ONE FINE SPRING DAY

publié le

Des hommes, des femmes et des lapins … Deux films asiatiques qui, par la plus grande des coïncidences, ont tous deux comme personnage central un preneur de son et exploitent la piste de l’écoute et de l’enregistrement comme moteur de l’histoire.

 

 

 

 

Des hommes, des femmes et des lapins … Deux films asiatiques qui, par la plus grande des coïncidences, ont tous deux comme personnage central un preneur de son et exploitent la piste de l’écoute et de l’enregistrement comme moteur de l’histoire.

 

ofsdOne fine spring day raconte l’histoire d’amour qui naît entre une présentatrice de radio et son preneur de son, alors qu’ils sont en reportage, partis enregistrer les paysages sonores de la Corée. Tandis qu’ils installent leurs micros, leurs nagras et leurs lapins (cette bonnette qui protège le micro des éléments) afin de capter le vent dans une forêt de bambous, ou le lever d’un jour dans un temple bouddhiste, ou encore de recueillir les chansons et les souvenirs d’un autre temps des personnes âgées qu’ils interrogent, une complicité se développe entre eux, nourrie par ces enregistrements, et les souvenirs communs qu’ils contiennent désormais. Autour de l’histoire classique d’une relation amoureuse, son éclosion, ses hauts et ses bas, le réalisateur installe un climat centré dans un premier temps sur cette attitude d’écoute, sur l’attention au son de l’environnement, qui sont au centre des préoccupations du jeune homme. Si le reste du film met progressivement de côté cette part de l’intrigue, c’est en accompagnant l’évolution du personnage, qui éprouve de moins en moins de passion pour son métier, à mesure que son autre passion, amoureuse celle-là, s’enlise dans un conflit sans retour. La scène finale viendra alors comme une renaissance, un nouveau départ.

mostThe most distant course est le premier film du cinéaste taiwanais Lin Jing-jie. La longue route du titre est celle qui conduit les individus à eux-mêmes. Comme tout road-movie, il est avant tout ici question d’une quête de soi, celle que les trois personnages du film vont entreprendre sur les routes de Taiwan, traversant l’île sur toute sa longueur, du Nord au Sud. Un élément inhabituel de ce film est ici aussi la place qui est accordée au son. Le point de départ de l’intrigue est un malentendu, un preneur de son cherche à reprendre contact avec son ex-fiancée en lui envoyant des enregistrements réalisés à travers le pays, en souvenir d’un de leurs projets communs. Malheureusement, ces cassettes ne parviennent jamais à destination, car l’appartement de l’ex-petite amie a été repris par une nouvelle locataire. Celle-ci va après quelques hésitations décider d’ouvrir ce courrier qui s’amoncèle et écouter ces cartes postales sonores, qui la lanceront sur les routes à la recherche des paysages enregistrés et de l’inconnu qui les lui envoie. À ces deux premiers personnages s’ajoute un psychiatre, parti lui aussi dans un voyage à la recherche de son passé et de ce qu’il espère pouvoir encore en corriger. Le son et l’écoute sont au centre de toutes les scènes, chacun tour à tour y est confronté, et est attiré d’une manière ou d’une autre par les enregistrements et les prises de son que réalise le jeune homme.

Ces deux films ont donc beaucoup en commun, malgré leurs différences. Ils placent au centre de l’intrigue une attitude, une perception, qui dans un premier temps marginalisent le personnage central des deux films, jusqu’à ce qu’il puisse faire partager sa passion à la femme qu’il aime. De figure isolée, étrange, comme coupée de son environnement qu’il arpente le casque sur les oreilles et un lapin dans les bras, le héros va devenir celui qui donne accès à un autre monde, inattendu, littéralement inouï. Cet autre monde, celui du son, jamais vraiment absent, mais rarement réellement perçu, est ici mis au premier plan. Les deux films passent un temps non négligeable à nous montrer des gens qui écoutent. C’est en quelque sorte une gageure au cinéma, dans la mesure où l’attitude d’écoute n’est pas toujours aisée à restituer en images, si l’on veut éviter le cliché théâtral de personnages tendant l’oreille en regardant la source du son qu’ils entendent. Ces deux films choisissent une autre voie et tentent au contraire de montrer l’effet du son sur les protagonistes, à travers diverses activités liées à l’écoute, depuis la recherche du son, jusqu’à sa réécoute hors contexte (la fameuse schizophonie dont parle R.Murray Schaefer), en passant par tous les stades du processus: l’enregistrement, le montage, le transfert sur cassette, etc. À chaque nouvelle situation correspond une nouvelle perception, une nouvelle émotion, celle de la découverte sur place, pour le preneur de son, celle, décalée, de la première écoute, hors contexte, ou celle, encore, de la réécoute, et du souvenir qui vient s’y mêler, de la signification personnelle que prend ensuite le son pour chacun. D’éléments extérieurs, naturels, ces enregistrements deviennent des émotions, des sentiments, que les personnages intériorisent, qui les transforment, et qu’ils modifient à leur tour. S’il ne faut retenir qu’un aspect de ces deux films, c’est sans doute l’importance accordée à ces modifications, ces bouleversements que le son apporte dans la vie des personnages, dans leur perception de l’environnement sonore, et qui colorent différemment les enregistrements écoutés à chacune de leur apparition dans le film. Par un jeu de ping-pong continuel, c’est d’abord l’élément sonore qui intervient dans la vie des humains, avant de se voir modifier par l’interprétation que ceux-ci en donnent, qui va modifier à son tour la perception que d’autres en auront, etc. Pas question de neutralité pour ces enregistrements, dès leur extraction de leur milieu naturel, de leurs origines extérieures, ils sont immédiatement chargés de sens, d’émotion, même s’ils acquièrent par-là une valeur personnelle différente pour chacun. Comme le rappelle le compositeur Michel Chion dans « À la recherche de la musique même », l’objet sonore ne reste jamais longtemps une simple perception; il n’est jamais longtemps cela : un objet. L’objectivité illusoire du son cède au contraire, dès qu’on y accorde son attention, dès qu’on écoute réellement, la place à un autre mode de connaissance, celui qui fait que la musique nous éclaire plus sur nous-mêmes que sur son simple statut de phénomène sonore.

Benoit Deuxant

 

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