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Pointculture_cms | critique

JOHN BAKER TAPES, VOLUME 1 (THE)

publié le

L’évolution de la musique électronique a dans bien des cas suivi celle de la création radiophonique. Pendant longtemps en effet les studios les mieux équipés ne se trouvaient qu’au sein d’institutions comme le Service de la Recherche de l'Office de […]

 

 

Baker Tapes 1 Volume 2

L’évolution de la musique électronique a dans bien des cas suivi celle de la création radiophonique. Pendant longtemps en effet les studios les mieux équipés ne se trouvaient qu’au sein d’institutions comme le Service de la Recherche de l'Office de Radio-Télévision Française où Pierre Schaeffer inventa la musique concrète, ou le Studio für Elektronische Musik de la NordwesterDeutscher Rundfunk que dirigeait Stockhausen. La BBC a elle aussi créé son département de musique expérimentale, permettant un habillage d’antenne maison (génériques, jingles, ponctuation sonore, etc.). Ce service, le BBC Radiophonic Workshop, apparu en 1958, occupait deux studios dans les bâtiments de la BBC à Maida Vale, dans l’Ouest de Londres. Le Workshop doit une grande part de sa popularité au travail réalisé par Delia Derbyshire et Brian Hodgson pour le feuilleton Doctor Who à partir de 1963. Mais le Workshop a surtout été, comme son nom l’indique, un atelier où ont été développés de nombreuses techniques et de nombreux appareillages électroniques mis au point par une équipe de savants fous, de bricoleurs et de musiciens. Ces techniques, similaires à celles de la musique concrète, prenaient généralement pour point de départ des enregistrements de sons «de tous les jours» (objets, voix…) qui étaient ensuite modifiés, traités avec toutes les techniques offertes par la manipulation de bande magnétique, accélérée ou ralentie, renversée, ou bien encore découpée et remontée. De nombreux musiciens et compositeurs ont fréquenté cet atelier, certains y ont passé leur vie entière, jusqu’à sa fermeture définitive en 1998 pour raisons financières. D’aucuns y ont acquis une relative notoriété, comme Daphné Oran ou Delia Derbyshire, dont les œuvres ont été en leur temps publiées sur disque (en dehors du contexte radiophonique pour lequel elles avaient été créées). Une partie de ces œuvres a récemment fait l’objet de rééditions. C’est aujourd’hui le tour d’un autre pionnier de se voir consacrer une publication (en deux CD et un LP).

John Baker a été employé au BBC Radiophonique Workshop entre 1963 et 1974. Musicien accompli, diplômé de la Royal Academy of Music, grand amateur de jazz, il s’est particulièrement attelé à apporter au Workshop un sens musical et un sens du rythme que d’aucun prétendait manquer à ses collègues, plus scientifiques, fût-ce fous, que beatniks. Il fut l’un des plus prolifiques compositeurs du Workshop: durant les onze ans qu’il y passa, il s’attacha à combiner les méthodes traditionnelles de la création radiophonique et de l’électronique avec des apports d’instrumentistes en chair et en os. Entièrement composés de travaux de commande, pour la BBC ou pour d’autres commanditaires, cette anthologie en deux volumes comprend des singles, des musiques de scène, des génériques radiophoniques, des publicités, des musiques de films et de documentaires, un peu de jazz et ce que l’on nomme des library records, c’est-à-dire des suites de musiques en tout genre destinées à un usage professionnel, mais moins onéreux qu’une composition réalisée sur demande. John Baker s’y révèle touche-à-tout, aventureux, aussi créatif pour des «capsules» de quelques secondes que pour des morceaux de musique de format plus pop. Travailleur inlassable, à l’enthousiasme intarissable et que l’on croyait infatigable, il finira toutefois par s’écrouler sous la pression. Acceptant toutes les demandes, tous les défis, il succombera à la fatigue et à la dépression avant de sombrer dans l’alcool. Il vivra à moitié reclus jusqu’à la fin de sa vie, composant des musiques de plus en plus complexes et sombres, et de moins en moins populaires, auxquelles même la BBC, malgré sa tradition de patronage des musiques difficiles, ne pourra trouver un usage.

Une fois de plus, le label Trunk se penche sur la carrière d’un musicien de génie, officiant dans un domaine qui n’aurait jamais pu lui offrir la reconnaissance qu’il méritait. Musicien de commande, tâcheron de la musique, marginal malgré lui, il ne pouvait être redécouvert, comme ses pairs du BBC Radiophonique Workshop, que par des passionnés un peu déviants comme Johnny Trunk. Si quelques-unes de ces pièces ont accompagné les auditeurs de la BBC pendant des années, elles ne rappelleront toutefois pas grand-chose au public actuel, surtout hors Grande-Bretagne. On pourra toutefois apprécier le travail d’un pionnier, accompagnant l’optimisme de son époque dans le progrès et le modernisme, et composant avec fougue la bande-son d’une utopie en marche.

Benoit Deuxant

 

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