SONGS FROM THE LABYRINTH
Sting Goes Classics a pu faire grincer quelques dents à l’annonce de la sortie de ce disque dédié à l’œuvre pour voix et luth du compositeur John Dowland. Alors, sacrilège, ultime coquetterie d’une star finissante ou simple déclaration sincère d’une passion secrètement cultivée depuis de nombreuses années ? Dans une interview accordée au Monde de la Musique, Sting nous révèle que sa rencontre avec la musique du compositeur élisabéthain remonte à 1982 et fut entretenue par la suite par ses amis la pianiste Katia Labèque et le guitariste Dominic Miller, donateur de son luth à neuf cordes. Ce précieux présent lui a en tout cas mis plus d’une idée en tête puisque le labyrinthe ornant le cœur de sa table d’harmonie aura autant inspiré le titre de ce disque que le labyrinthe grandeur nature qu’il s’est fait aménager dans le jardin de sa demeure anglaise, « Je m’y promène tous les jours, cela me calme l’esprit », confie-t-il.
Retour au disque. Ce qui frappe d’emblée, dès les premières notes de Can She Excuse My Wrongs, c’est une incroyable fougue, proche de l’emportement qui entraîne Sting et son luthiste, Edin Karamazov, déjà croisé aux côtés d’Andreas Scholl (AA7927). De quoi déstabiliser le mélomane qui, depuis des décennies et les auditions des interprétations de Deller à Scholl, avait pris l’habitude de faire sien l’adage du compositeur « Semper Dowland, Semper Dolens » (« Toujours Dowland, Toujours Souffrant »). De même, l’usage de « trucs » de studio (overdubs, doublage des voix, épaississement des sonorités du luth) risque de troubler les franges les moins pop de son audience. En alternant pièces pour luth, airs et lectures de lettres, Songs From the Labyrinth se présente presque comme un concept-album, retraçant de façon allusive la vie d’un Dowland enténébrée par un caractère difficile et les nécessités de l’exil. L’ensemble (habillage du CD et programme) est de fort belle facture et permet au grand public de découvrir les différentes facettes un compositeur trop vite résumé aux sempiternels mêmes airs. Restent toutefois l’empreinte et la forte personnalité vocale de Sting, (trop?) aisément identifiables, sur un répertoire dominé depuis de nombreuses années par les hautes-contre. Et c’est ici que la polémique surgit : Songs From the Labyrinth ressort plus d’un « Sting chante Dowland » que d’un plus humble « Dowland interprété par Sting ». Libre à chacun d’aimer ou non.
Jacques de Neuville
D’autres interprétations de l’œuvre vocale de Dowland :
James Bowman, David Miller, The King’s Consort : "Awake, Sweet Love" - AD7698
Gerard Lesne, Ensemble Orlando Gibbons : "Ayres" - AD7697
Alfred Deller, Robert Spencer, Consort of Six : "Lute Songs" - AD7685
Andreas Scholl, Andreas Martin :" English Songs and Lute Songs" - AA7923