PECKER
UN UNIVERS IMPITOYABLE
Figures emblématiques du cinéma indépendant contemporain, John Waters et Tom DiCillo se sont, chacun à leur manière, penchés sur le monde merveilleux de la photographie.
En 1998, le premier réalisa « Pecker », portrait d'un petit photographe de province (Edward Furlong) découvert par une marchande d'art new-yorkaise (Lili Taylor). Alors qu'il n'est qu'un modeste serveur de fast-food (où il expose ses œuvres), le voilà propulsé au-devant de la scène artistique intellectuelle qui trouve absolument charmants ses clichés de hamburgers dégoulinants et de rats copulant dans les poubelles, sans oublier les portraits de famille – une mère qui relooke des SDF, une sœur boulimique, une grand-mère qui converse avec la Sainte Vierge, un meilleur ami kleptomane, une petite amie qui travaille à la laverie du coin.
Tout ce petit monde va être complètement bouleversé par le succès aussi rapide qu'inattendu du gamin qui n'en demandait pas tant. Car le succès, ça vous change un homme, et quand le bonhomme en question sort tout juste de l'adolescence et n'a jamais quitté sa Baltimore natale, on peut s'attendre à toutes sortes de scénarios catastrophe.
Le grand talent de John Waters, pourtant peu connu pour la finesse de son humour, est d'avoir su tirer le meilleur de tous ses personnages: malgré leur exubérance et des traits de caractère parfois un peu forcés, il se dégage d'eux une sincérité et une humanité touchantes, et l'on est même prêt à écraser une larme lorsque la grand-mère cesse d'entendre la Vierge.
Comédie légère et néanmoins lourde de sens, «Pecker» est une fable contemporaine sur les effets pervers de la réussite. Chaque pièce à son revers, et l'on a parfois à choisir entre pile ou face…
Dans la même veine, « Delirious » de Tom DiCillo égratigne quant à lui le milieu des paparazzi: Les, photographe pour la presse à sensation (Steve Buscemi), recueille Toby, un jeune SDF (Michael Pitt) pour lui apprendre les ficelles du métier. Quand l'amour s'en mêle en la personne de K'harma (ersatz de Britney Spears campé par Alison Lohman), tous les ingrédients d'un vaudeville des temps modernes sont réunis.
Si le tableau brossé reste largement superficiel, il n'en est pas moins efficace, notamment grâce à l'épatant duo d'acteurs : Steve Buscemi est, comme à son habitude, impeccable dans le rôle du looser solitaire et Michael Pitt tout à fait crédible en gamin idéaliste, à la fois terriblement naïf et étonnamment mature pour son âge.
Réunis par la photographie, c'est elle aussi qui les séparera avant de les rassembler à nouveau. D'ailleurs, n'hésitez pas à regarder « Delirious » au-delà du générique de fin: une petite surprise vous y attend !
À bon entendeur…
Catherine Thieron