UNE BALLE DANS LA TÊTE [COFFRET JOHN WOO]
Une balle dans la tête
Mise en scène à la hache, fusillades dévastatrices, rappel du contexte asiatique de la fin des années soixante, situations surréalistes dans leurs outrances et une histoire qui tient la route, tels sont les traits basiques de ce film. L'influence du western spaghetti est patente : gros plans sur les visages, ralentis, thèmes abordés (antihéros, amitiés viriles, trahisons, doutes, actions suicidaires, engrenage fatal des destins...), les mouvements de caméra, la photographie... Plans expressionnistes : exécution d'une balle dans la tête, sans pitié, d'un terroriste adolescent devant les enfants d'une école religieuse, avec l'image d'une pietà à l'arrière plan... Partout la violence : les manifestations étudiantes à Hong-Kong réprimées avec sauvagerie par la police de la colonie... la guerre et la débâcle américaine au Vietnam... vols, trafics, prostitution, règlements de compte... Jeux pervers des trahisons, amitiés et haines dévastatrices soudées par des images en flammes, flinguées à bout portant, couvertes du sang des tortionnaires et de leurs victimes... Aussi quelle générosité dans les caractères. Qu'ils ont du cœur ces héros dérisoires, existentiellement stigmatisés, qui cherchent, hors leur déchéance, une porte de sortie honorable. Quel sort funeste les attend : une caisse d'or dont on s'empare envers et contre tout, surtout contre une profonde amitié muée immédiatement en haine, suivie d'une balle dans la tête qui ne tue pas, mais fait du copain d'enfance un zombie terrible de souffrance... Un monde sans pitié où les plus chanceux survivent dans la débâcle de leurs espérances, en pleine apocalypse de leurs chimères... Ils sont brutaux, enfantins, innocents, séduisants, ces visages baignés de larmes, couturés de blessures, où se marquent tant de doutes et d'émouvantes beautés. Une Ophélie chinoise descend le fleuve, liane de sang dans une robe de sang, d'où émerge un masque livide. Sur les quais, la vengeance se joue en un duel ultime dont personne ne sort vainqueur, ni le mort, ni le vif.
Les larmes d'un héros
Tranche de barbaque juteuse, parée d'épices fortes, ce film tracé
à la dynamite vous explosera la bouche !
Film antérieur à Une balle dans la tête , les tendances,
influences, qualités, défauts du cinéma de John Woo sont
bien présents : le sens de l'image forte, le son, la maîtrise
des scènes d'actions innombrables et pétaradantes, la petite musique
sentimentale, dérisoire, obsessionnelle et peu chinoise accompagnant
les pires situations, et des acteurs pas toujours bons comédiens. On
y suit des mercenaires perdus dans un monde de violences, des vies détruites
par des supposés devoirs, l'errance d'un enfant privé d'enfance
et se comportant en soldat, des antihéros noyés dans leurs larmes,
s'éparpillant dans des torrents de sang et de douleurs. C'est insensé,
outré, grotesque, infernal !
Une scène forte préfigure les christs en croix, motifs vus dans
plusieurs films de John Woo : le héros à demi-mort, pendu
à une potence par les poignets, un bambou bloquant le dos, les paupières
cousues, yeux face au soleil, résiste sous les quolibets et les coups
de ses bourreaux... pas de colombe. La petite musique anodine distille, sournoise,
ses notes de rêve, nostalgie d'un monde idéal où tout est
lumière. (Voir aussi le
)
(Pierre Coppée, Charleroi)