40 ANS, TOUJOURS PUCEAU
[Avertissement : pour les lecteurs qui n'auraient pas vu le film et, dès à présent ou en cours de lecture de l'article, souhaiteraient le regarder, il est conseillé de ne pas lire le dernier paragraphe ci- dessous qui dévoile pas mal - sans doute trop -la fin -certes en partie prévisible -du film…].
«Vous savez, quand on empoigne les seins d'une femme et… et, on la sent, et… [deux secondes de blanc] et… on dirait un sac de sable, quand on la touche…» : c'est par cette comparaison totalement à côté de la plaque qu'au bout de douze minutes de film, lors d'une partie de cartes où ils l'ont invité comme bouche-trou, les collègues du pâlichon Andy Stitzer découvrent ce que les spectateurs de cette comédie savent clairement depuis la lecture de son titre. À quarante ans, Andy Stitzer n'a jamais fait l'amour. Trois minutes plus tard (dans le film), une paire de répliques en voix off, deux pensées du personnage principal annoncent dans un seul plan la double logique des cent minutes à venir : rentré chez lui après cette soirée de pénibles aveux involontaires, étendu sur son lit, regardant le plafond, Andy s'endort en pensant « Ces gars sont cool », la lumière baisse puis raugmente, le jour se lève, le réveil sonne et la première pensée qui traverse son esprit, au petit matin, avant de rejoindre ses collègues au boulot, claque comme un lucide « Ça va être très dur ». Pendant tout le reste du film, le quadragénaire à déniaiser va donc être ballotté entre confiance et sérénité, d'une part, et parcours initiatique semé d'embûches, d'autre part.
Un peu plus tard, dans l'espace public, Andy se retrouve brutalement confronté aux images racoleuses de femmes dénudées en couverture de deux magazines - l'un de… canoë et l'autre de… bien-être des consommateurs - en devanture d'un kiosque de presse, avant d'être littéralement poursuivi par un bus dont tout le flanc vante, photo suggestive géante à l'appui, le parfum Éruption… Dans un monde où - avec le pouvoir et l'argent - le sexe représente l'un des trois moteurs principaux qui font interagir les humains entre-eux, dans une société où la sexualité et la parasexualité (non pas l'activité sexuelle, mais sa représentation, son imagerie via le spectacle aguichant du corps - surtout féminin - comme vecteur de marketing et de commerce) sont omniprésentes en rue, à la télévision, sur Internet, dans nos boîtes mails, alors que - tant en Europe qu'aux États-Unis - l'âge médian au premier rapport sexuel a fortement baissé depuis les années cinquante, la virginité tardive d'Andy fait bel et bien figure d'anomalie, voire de tare sociale. Épargner toute moquerie ou toute souffrance à ce personnage aurait nuit au film en le tirant du côté de la mièvrerie et des bons sentiments. C'est une erreur que Judd Apatow, scénariste avant d'être réalisateur, ne commet pas. Mais il ne tombe pas non plus dans les ornières toutes tracées du chemin de croix à faire subir à un personnage bouc émissaire. C'est même là, dans cet entre-deux, en périphérie de son sujet principal, dans l'inscription contradictoire de son personnage dans une communauté de collègues à la fois « cool » et « très durs » (cf. ci-dessus, l'évocation des pensées nocturnes prémonitoires d'Andy) que réside la plus grande réussite de son film. Smart Tech, la grande surface de hi-fi et de matériel électronique où travaille tout ce petit monde, est marquée par les rivalités de boulot, les petites querelles liées aux commissions sur les ventes ou encore les ressentiments teintés de paranoïas communautaristes entre blacks et asiatiques… Jusqu'à ce que survienne le coming out involontaire du plus discret de ses employés, micro-événement qui va profondément changer les relations de travail de cette microcommunauté ( « Tu te rends compte que c'est la première fois qu'on parle pendant plus de trente secondes ? » remarque l'un des collègues). Construire le chemin de fer vers l'Ouest, sauver un soldat derrière les lignes ennemies, exterminer la présence maléfique qui hante le vaisseau spatial, sortir vivant du building en flammes… Apatow renoue par son Plan Marshall pour faire dépuceler Andy Stiltzer avec une des pierres angulaires scénaristiques du cinéma hollywoodien: comment un défi commun vient à la fois souder une communauté dans l'effort et, dans une moindre mesure, en révéler les microfissures. Mais, dans des sociétés de plus en plus individualistes, certaines épreuves et certaines collectivités ne sont plus celles du cinéma héroïque et patriotique : l'armée, la cavalerie ont fait place à la petite entreprise, les soldats, cow-boys et pompiers aux petits responsables de rayons des basses classes moyennes. Cette galerie de personnages secondaires touchants, tentant de vivre le moins mal possible les contradictions entre leurs grossières fanfaronnades verbales et leur fragilité mal cachée, est une des meilleures surprises de cette comédie « double-couche » – l'une juste sous la ceinture, l'autre quarante centimètres plus haut, à hauteur du cœur.
Il s'agit de la moyenne de l'âge auquel la moitié d'une classe d'âge dit avoir eu au moins un rapport sexuel. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est cependant du milieu des années cinquante au milieu des années septante que cette donnée statistique a le plus baissé (en France d'env. 19 ans à env. 17,5 ans pour les hommes et d'environ 20,5 ans à 18,5 ans pour les femmes). Du milieu des années septante au milieu des années nonante, la variable s'est stabilisé (voire a augmenté de quelques mois). Ce n'est que depuis la fin des années nonante qu'elle a rebaissé d'env. 6 mois. Aux Etats-Unis aussi, c'est surtout au cours des années cinquante que l'âge de la première relation sexuelle a baissé d'env. 21 ans à env. 19 ans. Il faut aussi avoir à l'esprit que même si cette médiane reste constante, cela n'empêche pas – mathématiquement parlant – d'imaginer les extrêmes évoluer sur la même période : p.ex. les "dégourdis" d'être de plus en plus précoces, les "retardataires" d'être de plus en plus tardifs…
Philippe Delvosalle