En cas de dépressurisation (Sarah Moon Howe)
Pendant dix ans, Sarah Moon Howe a été strip-teaseuse, un métier qu’elle exerçait la nuit en marge de son « vrai » travail, celui d’éducatrice en psychiatrie.
Pendant dix ans, elle a dansé et exhibé son corps sur scène, dévêtue sans pour autant se mettre à nu, se créant des personnages comme autant d’alter ego pour nourrir les fantasmes d’inconnus mais aussi découvrir sa propre féminité.
De cette expérience, elle a tiré le court-métrage Ne dites pas à ma mère (2003), documentaire de vingt-huit minutes commenté en voix-off par la cinéaste alors amatrice et présenté à la 60ème Mostra de Venise. Cette sélection offre à Sarah Moon Howe une légitimité qui la fait passer de simple strip-teaseuse à artiste à part entière. Dans la foulée, elle arrête l’effeuillage, se marie, tombe enceinte et opte pour la vie normale d’une femme normale.
Crises et isolement
Si ce n’est que la vie en décida autrement: quelques semaines après sa naissance, le petit Jack est pris de convulsions. Forte de son expérience en psychiatrie, la jolie maman reconnaît dans ces mouvements une crise d’épilepsie et emmène son enfant d’urgence à l’hôpital. Le diagnostic tombe comme un couperet : le nouveau-né a une malformation au cerveau. S’ensuit l’isolement d’une mère face à la pire des injustices.
Comme l’explique la réalisatrice dans un entretien qui accompagne le film, la blessure narcissique chez la mère d’un enfant handicapé est énorme, car elle a la terrible impression de n’avoir pas bien réussi son enfant. Là-dessus vient se greffer un sentiment de culpabilité écrasant et la peur de ne pas être à la hauteur puisqu’une mère se doit d’être entièrement dévouée à son enfant, à plus forte raison quand celui-ci est handicapé.
Sarah Moon Howe s’occupe ainsi de son petit Jack et filme leur quotidien pour se sentir moins seule…
Relâcher la pression
Et puis un jour, elle reçoit un appel du chorégraphe Wim Vandekeybus qui participe au spectacle de strip-tease chorégraphié Nightshade. Il sait très bien qu’elle a raccroché et souhaite néanmoins lui faire passer une audition. Sarah Moon Howe se retrouve alors à partir en tournée quelques jours par mois, et cette bulle d’air lui permet de retrouver sa vie de femme et de puiser petit à petit la force d’aller de l’avant et de soutenir son fils avec bien plus d’énergie.
Comme en cas de dépressurisation, quand les hôtesses de l’air conseillent aux parents d'enfiler leur propre masque à oxygène avant de le mettre sur l’enfant, Sarah Moon Howe a fait le choix difficile et courageux de prendre soin d’elle-même afin d’être plus forte et disponible pour son enfant. Un choix qu’elle assume totalement et dont elle nous offre un aperçu dans ce remarquable témoignage.
Catherine Thieron
-- article écrit pour La Sélec (août 2010)