KPT.MICHIGAN
Le plus captivant dans ce disque, c'est la combinaison de sensibilités
musicales radicalement différentes voire antagonistes, parfois d'une
plage à l'autre, mais le plus souvent au sein du même morceau.
Rapprochement ou confrontation de rythmiques à la fois robotiques et
désuètes, un brin boogie woogie électro , section
rythmique me rappelant l'un des groupes autrichiens les plus étonnants
qui soient, Attwenger, confrontation donc avec un multiple jeu de guitares,
d'une part électrique fuzz jusqu'aux coudex, bourrée
de feedback à dégommer tout mélomane qui se respecte,
d'autre part acoustique très agréable par sa douceur et sa sobriété,
un peu plus rare malheureusement, ou encore, répétitif et dégageant
les harmonies chères aux minimalistes. Combinaison complexe qui intègre
aussi une écriture pop adroite et sensible, dont les mélodies
franches ne sont pas sans rappeler les Beatles, les Beach Boys, Syd Barrett
et Beck pour ne citer que des noms commençant par la lettre B. Combinaison
inattendue incluant une sorte d'automutilation musicale sous forme d'assauts
électroniques noise dont l'ampleur et les textures rappellent
carrément Merzbow. Des façades de beau bruit qui s'ouvrent çà
et là sur des structures plus fines et un usage plus harmonieux, plus
pop du sampling.
C'est un album éclectique qui fera inévitablement les frais de
ce rejet du compromis et dérangera probablement les amateurs qu'il pourrait
facilement ravir par ce recours irrésistible au bruit, à un certain
«enlaidissement», à une sorte de sabotage de l'esthétique
établie, mélomane, au profit d'une autre : plus provocatrice.
Une sorte de refus de la beauté «facile», de la tranquillité.
Prenez Some People Cry, on dirait du Beck au mieux de sa forme pour
ce qui est du rif acoustique et des paroles, mais ce genre de petites mélodies
jaillissent sans prévenir hors des «scories électroniques»
comme les nouvelles pommes de terre que l'on récolte dissimulées
au fond d'un sillon boueux.
Don't Time Fly ? combine cette rythmique amusante et mécanique,
une sorte de caisse claire doublée d'une basse, avec un chant doux ramené
à une phrase où vient se greffer une guitare électrique
frottée façon Velvet Underground ou Tony Conrad.
Alliance tout au long de l'album de cet esprit pop, ce souci de la mélodie
simple et attachante, de rythmiques débonnaires et de son destructeur.
The Summer Sessions , plage introduite par une alternance de silence
craquelé et de démesure électronique, révèle
ensuite une tendre atmosphère folk conçue autour de trois accords
acoustiques.
Les influences 60's, rock psychédélique et songwriting rapprochant
Donovan et Syd Barrett (toutes proportions gardées) sont contrebalancées,
noyées ou émergent d'un amour pour la démesure sonore et
pour un minimalisme qui prend différentes formes, la plus émouvante
résidant peut-être dans la plage 8 Evry noW and theN,
combinaison de piano, de craquements de vinyles et de souffles.
Un album risqué, inégal, ambitieux, vilain petit canard boiteux
qui a tout pour plaire et déplaire.
Un petit bijoux imparfait comme on les aime de ce côté-ci du réseau.
Michael Beckett, musicien basé en Allemagne, incarne principalement Kpt.
Michigan. Le premier album de ce projet s'appelle Player Player , sorti
en 2003 sur Aesthetics Recordings. Label à suivre en matière
de productions « rock » parallèles : L'Altra,
Windsor For The Derby, Pulseprogramming, The Eternals…
Michaell Beckett a un projet en cours avec Köhn, musicien belge passionnant,
sous le nom de Superb Reverb et il joue aussi dans le groupe rock Beautiful
New Born Children.
Signalons enfin que Schneider TM, dont la réputation n'est plus à
faire en électro, joue sur ce second album de Kpt. Michigan en compagnie
d'autres musiciens non-identifiés.
(Pierre-Charles Offergeld, Liège)