Des révoltes qui font date #59
Du 10 au 20 mai 1969 // La bataille d’Hamburger Hill ou la prise de la côte 937
Sommaire
La Bataille
Au printemps 1969, alors que la guerre au Vietnam semble tirer vers sa fin, les services de renseignement de l’U.S. Army font état de fortes concentrations de troupes ennemies en train de se fortifier dans la vallée d'A Shau, au centre du pays, à deux pas de la frontière du Laos.
Une première expédition est menée dès le 13 mai (de l’infanterie avec soutien d’hélicoptères), mais malgré une imposante préparation d’artillerie, les Américains sont repoussés. Les Nord-Vietnamiens sont solidement retranchés au sommet de collines aux pentes vertigineuses sur lesquelles versent sans discontinuer des pluies torrentielles qui transforment le sol en une boue tiède et grasse.
Il faudra une semaine entière et des pertes sévères (au prix de 80 tués et 372 blessés/disparus) aux cinq bataillons américains de la fameuse 101e division aéroportée (celle-là même qui était encerclée à Bastogne en décembre 1944 et offrit aux Allemands une résistance opiniâtre) flanqués d’un bataillon sud-vietnamien, pour un total de plus de 1800 hommes. Des forces au sol, puissamment soutenues par pas moins de 10 batteries d’artillerie et une aviation qui effectuera pas moins de 272 sorties, écrasant les positions de la côte 937 sous un tapis de bombes et de napalm…, qui parviendront au sommet, avant de constater que les soldats de l'armée populaire vietnamienne ont fui la nuit précédente !
Les répercussions de cette bataille inutile furent plus politiques que militaires. Les médias s’interrogèrent au sujet de la nécessité tactique de cette bataille et redoublèrent de critiques quand le nouveau commandant de la 101e, le général John W. Wright, décida d’abandonner la colline dès le 5 juin.
Un débat polémique qui se prolongera jusqu'au Congrès des États-Unis, où de vives critiques, formulées par des sénateurs démocrates, amenèrent à une réévaluation (partielle) de la stratégie militaire des États-Unis au Vietnam.
Le Film
Hamburger Hill a été tourné aux Philippines en 1986/ 1987 sous la direction d’un réalisateur britannique, John Irvin, plutôt réputé pour ses films d’action (Les Chiens de guerre, Vengeance secrète…).
Le film retrace le quotidien puis l’assaut de la colline 937 par les « Screaming Eagles » (les aigles hurlants), surnom donné aux troupes d’élite de la 101ème division aéroportée qui se trouvent toujours en première ligne, tandis que le conflit semble doucement se diriger vers une « solution diplomatique » en ce printemps 1969.
Hamburger Hill s’ouvre sur un moment de routine paisible au sein d’un camp retranché des forces américaines, installé au bord d’une rivière surmontée d’un pont routier, et sur les rives de laquelle vit une population locale qui semble vaquer à ses activités et oublier pour un temps les horreurs de cette interminable guerre.
C’est le ronron quotidien pour les sections Frantz et Worcester, placées sous les ordres du lieutenant Eden, entre le souvenir aux morts, le retour des blessés et convalescents de la compagnie, l’« accueil » des bleus (appelés « newbies » ou, plus généralement, « FNG’s », pour « Fuckin New Guys ») par les vétérans, et le maintien d’une certaine vigilance armée. Quelques soldats sont à la toute fin de leur engagement, mais tous espèrent bientôt plier bagage, à mesure que les rumeurs de paix se font plus insistantes. Une animosité palpable règne aussi entre nouveaux venus et vieux briscards, entre sous-officiers et éléments de la troupe et entre les différentes composantes ethniques des troupes. La guerre du Vietnam est le premier conflit armé où les soldats américains noirs et blancs (y compris latinos) ont combattu ensemble et ont été répartis au sein des mêmes unités combattantes. On en reste généralement au stade de la taquinerie verbale et on cherche à occuper son morne temps libre comme on peut, y compris en faisant la file devant les bordels locaux, où les filles parlent mieux le français que l’anglais.
Le Hamburger de l’enfer !
Mais la violence intrinsèque de la guerre finit toujours par s’abattre à un moment où à un autre ! Dans le film, c’est un bombardement initial aveugle des bords de la rivière qui fauche bien davantage de civils innocents qu’il ne surprend de G.I.’s, rompus d’instinct aux réflexes de survie à adopter dans pareils cas de figure, ou à l’abri dans l’enceinte relativement protégée de leur camp.
Ensuite, c’est l’assaut de la côte 937 proprement dite. Dix jours durant, il faut gravir des pentes forestières aux dénivelés impossibles sous des trombes d’eau, dégarnies par les bombardements successifs, sous la mitraille aveugle et les obus, qui leur arrivent aussi dans le dos (il ne faut pas oublier les « tirs amis »). Les Viêt-Cong avaient creusé dans la petite montagne un réseau touffu de tranchées et galeries qui les rendaient insaisissables et virtuellement invisibles. Dans cette guerre moderne, au sens où l’on meurt sans avoir vu l’adversaire, des Nord-Vietnamiens, on n’en verra le blanc des yeux qu’à de très rares et fugaces moments, camouflés dans un environnement qu’ils connaissent bien, détrempés de boue ou pris dans le tourment de sauvages mais brefs corps-à -corps. Et, à l’opposé des « Screaming Eagles » en uniformes pourtant débraillés, les Viêt-Cong ont plutôt les allures d’anonymes paysans en armes que de soldats d’élite.
Surnom donné à la côte 917 (qui marque son altitude) par les soldats U.S., Hamburger Hill (pour son aspect chaotique final, craquelée de milliers de trous et cavités) est, sous la caméra d’Irvin, une absurde boucherie où, certes, les oppositions et alliances de départ sont gommées dans l’assaut, et où chaque vie amie compte, mais c’est avant tout un tourbillon de mort totalement absurde que rien ne peut justifier.
La prise finale de la colline proprement dite ressemble d’ailleurs plus à un moment de pure folie humaine et à un état des lieux macabre, où seules trois des nouvelles recrues ont survécu, qu’à une victoire militaire. Une fin qui a des accents d’armistice avant réquisitoire : on ne sait si l’ennemi a été exterminé ou a déserté le terrain, et aucun discours politique militaire ne vient tenter d’apaiser ou de justifier le carnage. À ce titre, Hamburger Hill fait partie de cette très rare catégorie de films de guerre où la race des officiers supérieurs est totalement absente !
Double peine.
Chez Irvin, non seulement les troufions ont été sacrifiés dans une bataille absurde et sans utilité militaire quelconque, mais, relégués au rang de monstres sanguinaires, ils sont aussi méprisés des jeunes de leur génération demeurés au pays.
L’un des soldats apprend par courrier, en début de film, que sa petite amie n’écrira plus à l’être qu’il est devenu à ses yeux… : un « tueur ». Et pour le sergent Worchester, sa première permission au pays lui a valu de faire face à des hippies qui lui balançaient des excréments à la figure, et au changement d’attitude de sa femme, convertie aux idéaux du flower power et à un mode de vie communautaire libre.
Texte: Yannick Hustache
Photo de gauche : les soldats de la 101e division aéroportée grimpent sur Hamburger Hill après la bataille, en mai 1969
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
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