La Mécanique des flux (Nathalie Loubeyre)
Sommaire
En parallèle Nathalie Loubeyre – qui signe ici son quatrième
documentaire – suit, d'une part, le travail des « limiers », de policiers qui « font juste leur travail », comme
le commente un des agents qui sillonne les étendues mixtes de bois et de
champs situés à proximité de quelques replis du fleuve Danube qui pourraient
offrir autant de points de passage potentiels pour les
« clandestins ».
D’autre part, elle part à la rencontre de « ces migrants » auxquels elle donne un visage et une parole, souvent lacunaire, hésitante (et régulièrement en français), traversée de non-dits lourds de sens ! Elle les filme en mouvement où tâchant d’organiser leur quotidien lorsque leur périple s’est arrêté pour un temps plus ou moins long, subissant des contrôles de police ou plus simplement tuant le temps ou usant – seul ou en groupe – de toutes les ficelles de la débrouille. Au sein de ces groupes informels qui squattent un ancien bâtiment industriel en Grèce, on aperçoit quelques gamins à peine adolescents, dont la technique « yamakasi » d’escalade de bâtiments leur permet d’aller planquer leur maigre pitance en hauteur, à l’abri des chapardeurs indiscrets : Welcome to the cruel world » !
Elle interroge aussi de fait l’incohérence lâche de la
politique de l’Union européenne qui se contente de vagues résolutions et
engagements de principe en faveur des droits de l’homme, mais laisse de fait
aux seuls États le soin de « gérer » les questions migratoires comme
bon leur semble, avec la réprobation comme seul et unique moyen de pression
envers des pays (Hongrie, Pologne, Slovaquie, etc. ) qui ont opté pour une fermeture
totale des frontières !
Ces « routes incertaines » de la migration, Nathalie Loubeyre les filme aussi bien dans la moiteur estivale du sud des Balkans que dans le froid vif d’un hiver neigeux aux confins de la Grèce et de la Turquie, où un groupe de migrants enfermé dans un grand bâtiment isolé dans la campagne, scellé de fils barbelés fait entendre sa voix et multiplie les banderoles de fortune !
Ces passages obligés - et répétés - aux frontières
sont les points de cristallisation du jeu du chat et de la souris entre
migrants et policiers et douaniers.
Technologies de surveillance de plus en plus sophistiquées et patrouilles
canines contre tentatives, parfois suicidaires – été comme hiver – de se
glisser clandestinement dans une remorque de camion aux abords des arrêts
d’autoroutes et points de péage et de franchir un maximum de kilomètres !
À l’autre bout de la Méditerranée, entre la Lybie et l’île de Lampedusa, point d’entrée du continent européen, se joue un autre acte du drame. À bord de vieux rafiots surpeuplés qui tentent la traversée d’une mer devenue cimetière, des groupes composites de migrants (nord-africains et sub-sahariens confondus) sont laissés à eux-mêmes. Passeurs évaporés, moteurs ou coques en panne ou cassés, sans plus de ressources à leurs dispositions, ils sont le jouet des éléments et ne doivent leur salut qu’à l’hypothétique arrivée des secours d’une toute petite flottille italienne de bateaux et avions obligée de parer au plus pressé ! À leur arrivée (témoignage d’un médecin à l’appui), la première tâche des sauveteurs est le plus souvent de procéder à l’évacuation des corps des malades, des morts et des victimes (expiatoires) de la promiscuité et de la violence qu’occasionne ce type de voyage. Parfois, il ne reste plus que les souvenirs et les portraits des disparus tenus par ces pères et mères qui fixent l’objectif dans un mutisme interrogateur.
Retour dans une Grèce sous tensions en 2015 où, en
marge des manifestations sociales dans la foulée la crise de la dette grecque
qui soumet le pays à un régime d’austérité jamais vu, des grappes de migrants,
tentent – apparemment sans succès – de se glisser dans le terminal
d’embarquement des navires à destination de l’Italie. Le modus-operandi est
double, se glisser entre les roues des véhicules ou passer par-dessus les
barrières et clôtures. Mais ici, des agents veillent…
Yannick Hustache