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Pointculture_cms | critique

LANDCRUISING

publié le

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L’une des plus belles singularités de la techno made in Detroit, arrivée un rien trop tard pour l’avoir initiée et poursuivant depuis une trajectoire discrète mais essentielle et toujours pertinente.

Figure de proue de la seconde vague techno dans la foulée de la sainte trinité Juan Atkins/Derrick May/Kevin Saunderson qui va faire de Detroit au milieu des années 1980, le creuset originel d’un alliage électronique souple au devenir stupéfiant, Carl Craig jouit cependant d’une aura presque équivalente non seulement au sein des techno freaks mais aussi du côté du jazz (via son projet Innerzone Orchestra où il s’acoquine avec trois musiciens de l’Art Ensemble de Chicago). Autre dénominateur commun qui serait des plus banals s’il ne reflétait ironiquement la réalité d’un énième idiome musical (ici la techno) inventée par des Blacks américains dans une mégalopole du nouveau monde, mais qui va connaître son succès le plus massif auprès d’un public pour l’essentiel blanc et européen. De fait la techno est selon ses géniteurs la fusion inédite entre la froideur rigoriste des pionniers allemands de l’électronique des années 1970 – Kraftwerk en tête – et le riche héritage noir, soul & funk, et George Clinton et Stevie Wonder en particulier. Frappée de plein fouet par la crise économique, l’ancienne cité de l’industrie automobile (berceau de la GM) offrait le décor idéal à l’éclosion de cette musique glaciale et métronomique par essence, plus dure avec ses beats de grosse caisse et sa structure multicouches, que la house née à Chicago.
Ce fan avoué des Smiths qui a reçu la techno comme une révélation divine (le titre « Nude Photo » de Rhythm Is Rhythm, alias Derrick May, en a été le déclencheur) fourbit ses premières armes dès la fin de la décennie 1980 – il a alors une vingtaine d’années – sous les pseudos de Psyche ou de BFC (tous collectors aujourd’hui). Cette manie de décliner des avatars musicaux se poursuit car l’intéressé se réfugie ensuite derrière les pseudos Paperclip People, 69, Designer Music dont les travaux sont édités sur son propre label Planet E, fondé en 1996. Publié l’année précédente, Landcruising est en accord total avec la maxime du maître à propos de la bonne ou de la mauvaise techno : « Une question d’âme, pas de couleur ni de visage. » Une techno soulful donc, mais qui est loin d’avoir vendu son âme au Dieu dance music ou cédé au culte de l’expérimentation pour l’expérimentation. Trop tordus, caverneux ou tout bonnement indansables, certains titres semblent tout à la fois familiers par leur ancrage dans un style immédiatement identifiable mais fondamentalement irréductibles aux oreilles des petits malins qui voudraient en démonter les mécanismes internes à des fins de duplication facile et lucratives. « Mind of a Machine » démarre au sens propre comme au figuré comme le décollage d’un vaisseau spatial rétrofuturiste dans un brouillard de nappes synthétiques chuintantes. « Science-Fiction » se meut à une confortable vitesse de croisière dans une débauche de claps et de sonorités filantes. Après cette mise en jambes, « A Wonderful Life » amorce un itinéraire plus intérieur constellé de pastels de synthé bleuté et de ricochets de clicks furtifs. Le profil plus altier, « Technology » est une minichaîne de montagnes russes de rythmiques enchevêtrées et à sa suite « They Were » enquille bruits de perceuse et sons électro vintage avec le sourire. « Landcruising » présente les caractéristiques d’une mini-épopée intersidérale à l’ancienne, du temps où ça faisait encore rêver. « Einbahn » renoue avec les autos tamponneuses des foires de notre jeunesse et ses chocs rythmiques générateurs d’ecchymoses, et « One Day Soon » est un long exercice d’échauffement suivit d’un sprint en ligne courbe tant les nappes synthétiques qui se succèdent rivalisent de densité. Brouillard en couches entremêlées et mouvantes, filées avec soin (le final de « Home Entertainment »), qui pourraient bien constituer une de ses marques personnelles de fabrique.
Toujours aussi discret, l’homme a depuis multiplié les sorties (EP, singles, albums) sous sa propre gouverne ou presque (voir ci-dessus), livré de brillants TP (DJ Kicks, Fabric) et pris le risque de revisiter électroniquement une petite part du répertoire de la classique Deutsche Grammophon en compagnie de Moritz von Oswald.

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Yannick Hustache

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