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Pointculture_cms | critique

« Les Amours d’Anaïs », un film de Charline Bourgeois-Tacquet

Les_Amours_ d_ Anais_1 ©Les Films Pelléas Année Zéro.jpg
Anaïs est partout et nulle part à la fois. Elle a l'énergie, il lui manque juste de savoir qu'en faire. Un premier long métrage drôle et profond taillé sur mesure pour la verve malicieuse d'Anaïs Demoustier.
Même dans les petites choses de la vie quotidienne, il faut toujours que les choses soient les plus merveilleuses possible. — Charline Bourgeois-Tacquet

À peine arrivée, la voilà repartie oubliant ce qu’elle a à faire pour se précipiter ailleurs, puis elle change d’avis, se laisse happer par une nouvelle idée, la suit un moment, en attrape une autre, c’est sans fin. Pareille énergie entraîne tous les excès en même temps qu'elle excuse tout. Comment en vouloir à tant d’enthousiasme, à tant d’appétit pour la vie ?

Sans que l’insouciance ne soit un trait qui la définisse, Anaïs sème partout sur son passage les signes de la plus entière désinvolture. Jamais à l’heure, toujours pressée, elle enchaîne les retards sur tous les plans : rendez-vous, loyer, thèse, règles… À vélo ou au pas de course, c’est un fait que la jeune femme passe plus de temps en déplacement qu’à se trouver là où on l’attend. Même quand elle parle c’est vite et à la voir, toute fraîche et souriante, jamais on ne devinerait que derrière ses manières expéditives se cache une intensité en souffrance.

Il ne fait aucun doute qu'une conduite un peu sauvage constitue un charme auquel aucun homme, jeune ou moins jeune, ne résiste. Idéale parce que insaisissable, Anaïs va quant à elle de déception en déception. L'amoureux officiel (Christophe Montenez) ? Trop prévisible. L'amant plus âgé (Denis Podalydès) ? Un bourgeois qui ne s’assume pas. Eux qui la désirent libre, comment pourraient-ils comprendre que la tiédeur qu'ils lui opposent, cette inaptitude à la passion dont ils n'ont même pas conscience, comment pourraient-ils comprendre que tout cela ne provoque que l’ennui ?

Le désir, c’est le grand sujet du film. Je veux parler du désir au sens large, bien sûr. De ce qui d’une manière générale nous met en mouvement, nous déplace, nous projette vers l’autre et vers le monde. — Charline Bourgeois-Tacquet

Suivre son désir. L’esprit aiguisé par la faim, Anaïs ne commet heureusement pas l’erreur de se construire une image précise de ce qu'elle cherche. Il importe que dans cette jeune personne exigeante et avide, on ne puisse identifier autre chose que le portrait d’un être singulier. Loin de refléter sa génération, Anaïs mène une politique très personnelle, le regard rivé sur la littérature plutôt que sur les référents de son époque. Y aurait-il en elle quelque chose d’une Bovary précoce ? Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi la littérature n’aurait-elle pas des choses à dire sur le présent ? L’écriture de la passion au XVIIème siècle, tel est le sujet de la thèse d’Anaïs qui nourrit également une obsession pour Lol V. Stein. Ce roman de Duras ne dit-il pas justement qu’il peut y avoir plus de vérité humaine dans une projection imaginaire que dans un être de chair et de sang ?

L’énergie de la parole, c’est aussi une énergie des corps. — Charline Bourgeois-Tacquet

Pauline asservie affiche.jpg

Ce penchant sentimental qu’on dira volontiers anachronique ne fait pas d’Anaïs (ni de l'héroïne de Flaubert ni même de Lol V. Stein) une créature de langueur et de volupté passive. Sa course éperdue ne connaîtra aucun répit sinon dans la rencontre d’un être à la mesure de son ardeur. Pour saisir cette impatience, Charline Bourgeois-Tacquet, dont c’est ici le premier long-métrage, mise sur la plasticité du plan séquence. Ayant trouvé en Anaïs Demoustier un alter ego de talent, la réalisatrice n’hésite pas à charger son interprète de textes et de gestes. Dense et incisif comme une phrase de Barthes, Pauline asservie, passionnant premier essai de la cinéaste, emmène en rodage une méthode où la vitesse devient figure de style. Pauline, c’est aussi la rencontre avec la fougue d'Anaïs Demoustier, une actrice qui se donne à livre ouvert. Ce n’est pas tant un personnage qu’une puissance, un élan en quête d’un objet qu’au début, elle ne peut définir que négativement. Savoir avec précision ce dont on ne veut pas, c’est déjà beaucoup !

Il y a donc une brutalité nécessaire. Ce côté bulldozer qu’on reproche à Anaïs affecte des structures qui lui réservent un rôle subalterne. Résolument solidaire du passé, cette fille-là est antimoderne dans une fièvre de réinvention qui la pousse à être plutôt qu'à produire.

Quand il s’agit d’une personnalité forte, le risque du portrait réside dans le fait que les figures secondaires puissent manquer d'envergure, travers que Charline Bourgeois-Tacquet évite de justesse tout en donnant satisfaction à Anaïs dans la raison de sa quête. Tel un fantasme qu'elle ignorait avoir, annoncé par une série de signes intellectuels, émotionnels et sensuels (blondeur, soie turquoise d'un chemisier, rouge à lèvres...)., la jeune femme croise la route d’Émilie (Valeria Bruni-Tedeschi), une femme de lettres d’une cinquantaine d’années que l'étude de la passion a reléguée à la périphérie de sa propre vie affective. Personnage ample et magnétique, Émilie vient à sa manière contrebalancer une poignée de rôles masculins qui, on l’aura compris, restent assez tristounets.

Et c’est dans ce qui revêt peu à peu la forme d’un dialogue intergénérationnel que le film prend son envol. En effet, en amont de la relation qui se noue entre l’autrice reconnue et la thésarde, la littérature est principalement convoquée au titre de valeur d’avenir. Dans un monde livide que signale la petitesse des obligations et des engagements, les voix du passé résonnent désormais avec une force décuplée. C’est elles qu’Anaïs entend, et c’est à elles seulement que la jeune femme répond. Non pas en rédigeant sa thèse ou en s’employant à servir le café aux séminaires des érudits de la littérature, mais en réactivant la pensée qui conduit ces voix jusqu’à elle, jusqu’à un monde capable de regarder bien en face ses inquiétudes, capable, par dessus tout, d’en rire.


Texte : Catherine De Poortere

Images: © Les Films Pelléas Année Zéro


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 15 septembre 2021.

Distribution : Athena Films

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes

Amours_d_Anais_affiche.jpg

Bruxelles, UGC Toison d'Or

Liège, Sauvenière

Louvain-La-Neuve, Cinescope

Namur, Cinéma Cameo