UTOPIES DU MERCREDI (LES)
Sommaire
Chantal Myttenaere, artiste pluridisciplinaire, tient à donner à tout ce qu’elle fait une visée relationnelle. Que le point de départ en soit privé ou public, intime ou institutionnalisé, en toutes choses le besoin d’interagir la dirige. Il existe, selon elle, une exigence plus haute que celle de l’art mis au service de la communauté, et c’est de vouloir qu’il la fonde. Formée à l’antipsychiatrie (dans la mouvance de Félix Guattari), puis, très rapidement, à l’IAD, Chantal Myttenaere écrit, enseigne et filme. Et de la même façon que ses pratiques inscrivent l’écoute en leur centre, les moyens qu’elle mobilise communiquent entre eux. Les Utopies du mercredi portent le témoignage d’un travail effectué sur deux ans dans un atelier. Chacun s’y rend avec la promesse de fabriquer son propre livre, textes et dessins compris. Le fait que des personnes extrêmement dissemblables soient amenées à se côtoyer, à débattre et à s’épauler passe pour une première victoire. D’affinités préalables, au fond on voit qu’il n’y en que très peu. Très vite en effet, l’objectif initial, la réalisation d’un livre, n’est plus qu’un prétexte. L’étincelle initiale fait place à une vision concrète du travail. Les motivations se multiplient ou plutôt, changent, intègrent de nouvelles données. Pour l’un ce sera donc le livre, pour l’autre de s’extraire du quotidien, pour un tiers de se découvrir une voix propre, etc. Et par addition : le fait d’être (au sens fort du terme) ensemble. Cela c’est l’œuvre commune. Et Chantal Myttenaere qui, à la fois, participe et observe ce travail, en fait le moteur de son documentaire. L’image, la bande sonore et le montage suivent ces cours tiumultueux, en épousent les différentes strates et les nœuds. Tantôt les flux se mêlent, les traits se chevauchent, les couleurs, les dessins, agrandis, magnifiés par le filmage, perdent leur signature et valent pour eux-mêmes. Tantôt cette belle harmonie cesse et révèle ce qui la rend possible. L’individu réapparaît au centre du cadre en tant qu’il choisit de se présenter ou de se cacher : fort d’un discours, d’une qualité ou d’un masque. Entre le privé et le collectif l’équilibre n’est jamais acquis, au contraire, l’instabilité témoigne de l’autonomie préservée. Avant d’être une réussite, le collectif reste une menace, un bloc contre lequel on croit devoir se défendre. Plutôt que d’ignorer le danger, il lui est fait une place, comme aux frustrations et au découragement qui surviennent forcément tout au long du processus de création. Sans doute le documentaire n’est-il pas exempt de maladresses, et on a bien l’impression d’avoir affaire à un entre-soi, à un reportage « maison », mais ce côté exclusif et artisanal conforte l’idée que tout est à hauteur, le film et son propos, les participants et la réalisatrice.
Catherine De Poortere