LIFEFORMS
Au milieu des années 1990, les grandes maisons de disques ont quelque peu perdu le fil des changements profonds qui bouleversaient la musique de l’époque. La musique house et techno, comme la musique hardcore qui accompagnait les raves, s’étaient développées en marge de leur activité et de leur contrôle, et n’avaient été soutenues ou exploitées que par des labels indépendants. De plus, une grande partie de ces musiques était publiée exclusivement sur vinyle, afin de pouvoir être utilisée par les DJ qui étaient les principaux acteurs et animateurs de la scène. Les majors, de leur côté, avaient renoncé à ce support pour passer au CD, et avaient orienté leur production vers les albums « longue durée » plus que sur les singles. Cet ensemble de décisions, et la lenteur inhérente à ces grosses structures, les avaient ainsi écartés d’une scène mettant en avant l’immédiateté et la vitesse, passant presque directement des musiciens aux DJ, et de ceux-ci au public en l’espace de quelques jours. Virgin va tenter de s’implanter dans ce nouveau marché et choisira de prendre sous contrat plusieurs artistes déjà reconnus par la scène électronique.
Future Sound of London sera une recrue impeccable pour leur nouvelle approche et le groupe tirera de son côté le meilleur parti de cette association. Le label leur donnera en effet les moyens dont ils ne disposaient pas auparavant pour réaliser leurs ambitions. Le duo, lassé de son circuit d’origine (les clubs et les raves), est à la recherche d’une nouvelle voie. De moins en moins intéressé par la musique de danse, il veut développer une musique plus ambient, plus complexe, débarrassée des contraintes du genre. Il veut réaliser des pièces beaucoup plus longues, beaucoup plus abstraites, beaucoup plus « progressives ». Le patronage du label Virgin, qui avait contribué à l’essor du rock progressif et de la musique planante, va lui permettre d’élaborer l’album Lifeforms, un double album immersif, plus proche des épopées électroniques de Tangerine Dream que de la techno de Detroit ou de la house de Chicago. Le groupe lorgne également vers les albums concepts de Pink Floyd et les constructions complexes et ambitieuses de Miles Davis, principalement durant la période de son association avec Teo Macero. Dans cet esprit, l’album est une suite de pièces atmosphériques, libérée de la « tyrannie du rythme » et conçue comme un voyage mi-initiatique, mi-halluciné, que soulignent encore les vidéos qui accompagne sa sortie. Celles-ci, dans un style déjà entamé avec le visuel associé avec le premier album Accelerator, mêlent images de synthèse, univers virtuels, imagerie exotique et ésotérique.
Benoit Deuxant