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Pointculture_cms | critique

"Lingui, les liens sacrés", un film de Mahamat-Saleh Haroun

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droit des femmes, avortement, luttes féministes, Tchad, Excision

publié le par Yannick Hustache

Dans la banlieue de N’Djamena, la capitale du Tchad, Amina élève seule Maria, sa fille de 15 ans. Quand cette dernière se retrouve enceinte, sa mère devra trouver des trésors de courage pour, envers et contre tout, lui assurer un meilleur destin que le sien.

Sommaire

Le regard de l’autre

Mère célibataire dans un environnement marqué par la pauvreté et la débrouille au quotidien – elle assemble des paniers à partir des structures métalliques extirpées de vieux stocks de pneus et les revend sur les marchés et boulevards – Amina (Achouackh Abakar) n’a d’autre rayon de soleil dans sa vie que sa fille de 15 ans à laquelle elle a sacrifié son existence. Sans aucun soutien de famille, elle n’a pas connu d’autres homme que le père de Maria (Rihane Khalil Alio) qui s’est volatilisé à la naissance de sa fille, et ne cherche pas non plus à se remarier dans une société qui voit d’un mauvais œil qu’une femme vive et assure sa propre subsistance sans l’aide et sans l’autorité d’un mari. Amina repousse ainsi les avances de son voisin de quartier déjà âgé, Brahim (Youssouf Djaoro) qui lui apporte son aide de façon ponctuelle.

Pieuse, elle se rend chaque matin dès avant l’aube à la prière de la mosquée à laquelle elle assiste de… l’extérieur (les femmes n’ont pas le droit d’y entrer) et accepte sans broncher les remarques dénigrantes de l’imam local et le regard désapprobateur de la société en bombant le torse.

Ma fille, ma bataille

Sa petite vie presque « paisible » s’écroule quand Maria, si mutique et secrète, tombe enceinte d’un homme dont elle n’ose dire le nom et se fait aussitôt expulser de son école, soucieuse de sa bonne « réputation ». Amina, pour lui épargner une vie à l’image de la sienne, décide de la faire avorter. Mais dans une société pauvre et musulmane où l’interruption volontaire de grossesse est sévèrement punie par la loi, et où les options se réduisent pour les femmes à devoir débourser des sommes folles auprès d’un hôpital clandestin, ou alors à placer toute sa confiance en une sage-femme. Et avec dans les deux cas un risque certain pour la survie de la mère, la voie est mince et le combat immense. D’autant que le temps presse…

Déterminée, Amina est prête à tout pour aider sa fille qui ne peut que compter sur elle, même à offrir ses faveurs à un homme contre rémunération. Seule richesse et avantage à leur crédit, mère et fille disposent d’un logement à elles, un véritable havre douillet de paix et de liberté, y compris pour les deux animaux de compagnie – un chien et chat – qui s’y font câliner.

Le cinéaste prend son temps pour montrer la lente construction et solidification des liens mère-fille, bientôt étendus à toutes les femmes qui tentent d’exister solidairement au sein d’une société qui les assigne à un statut de domesticité et de soumission.

Aux (res)sources des femmes.

Présenté en compétition à Canne (2021), Lingui, les liens sacrés est le sixième ou septième film du réalisateur Mahamat-Saleh Haroun (qui a aussi tâté du documentaire) qui fut aussi ministre du développement touristique, de la culture et de l'Artisanat du Tchad de 2017 à 2018. Ce pays et sa capitale N’Djamena, Haroun le restitue fort bien à l’image : sa lumière omniprésente, insolente et presque dorée (couleur du Soleil et du sable), son agitation permanente rythmée par le tumulte des moto(cyclettes) qui dominent routes et pistes. Il prend aussi son temps pour montrer les ateliers privés et activités de débrouille qui permettent aux Tchadiennes et Tchadiens de survivre, ainsi que les lieux (marchés, boulevards, routes) et la façon dont tout se négocie dans le feu du moment.

Pour son film, Haroun a fait le choix de deux actrices non-professionnelles dont le jeu parfois fragile, introspectif et aux limites de la récitation dans les dialogues, peut sembler manquer d’incarnation ou - c’est selon - ou autoriser une certaine distanciation qui s’accorde avec sa manière d'aborder son sujet.

Ni fataliste, ni bercé d’optimisme béat le combat des femmes dans Lingui, les liens sacrés passe par l’obstination, la sororité et … la ruse ! Dans cette société où l’empreinte religieuse et la domination masculine ne sont pas prêts de desserrer leur étau sur les femmes (l’hôpital clandestin fermé après une descente de police, sans doute sur dénonciation), les hommes, sûrs de leur bon droit y sont montrés comme omnipotents (l’imam), cupides (le prix exorbitant d’un avortement dans un dispensaire caché), voire aux agissements troubles (le « bon » voisin), même si ce sont bien des hommes qui sauvent la vie de Maria après sa tentative désespérée de se noyer dans le fleuve ! En retour, ils sont montrés comme grugés et menés par le bout du nez avec une certaine facilité. Plutôt que de s’opposer de force à l’excision, quelques femmes ont trouvé le moyen de célébrer en musique ce rituel pratiqué « pour de faux » sous les apparences joyeuses du vrai.

Mais au final, la lutte collective cède aussi quelque part le pas au conte moral. Plutôt qu’à consigner les prémices d’une lutte culturelle et sociétale porteuse de changement, le film préfère s’en tenir aux fils narratifs d’une histoire où les liens familiaux se retissent sous l’action des sœurs (les retrouvailles « miraculeuses d’Amina et de sa frangine plus fortunée), l’avortement peut se faire grâce à une sage-femme au grand cœur et aux gestes sûrs. Et déboucher sur le plan final d'un retour à la case départ comme si rien ne s’était passé.

Circulez, il n’y a plus rien à voir !

Lingui, les liens sacrés, un film de Mahamat-Saleh Haroun

Allemagne, Belgique, France, Tchad - 2021 -- 87 min.

Texte: Yannick Hustache

Crédits photos: Imagine

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Agenda des Projections

Sortie en Belgique le 12/01/ 2022.

Le film est programmé dans les salles suivantes

Bruxelles : info@cinema-aventure.be