MÊ THAO, IL FUT UN TEMPS
Dans le Vietnam colonial début de siècle, deux histoires d'amour
pleines de souffrances, s'accomplissent au sein d'un domaine où la modernité
est bannie par un maître rendu inconsolable par la perte de sa fiancée.
L'histoire bien romantique, très triste, riche d'amours contrariées,
est filmée avec sensibilité, humanité, compassion, et baignée
d'une lumineuse cruauté. La réalisation est classique, aux couleurs
locales. Belle scène de lancer de lampions au seuil de la nuit.
Un joueur exceptionnel de luth tue accidentellement un client ivre qui manquait
de respect à une chanteuse, l'amante interdite de sa vie. Traqué
par la police, avec l'aide du propriétaire, il se réfugie à
la campagne au domaine de Mê Thao où il se consume de passion.
D'entrée de film, magnifique duo luth et chant dans lequel l'émotion
amoureuse échangée entre le musicien et la chanteuse est perceptible
et émouvante.
Une voiture offerte en cadeau de mariage provoque le décès brutal
de la belle promise du maître de Mê Thao. Devenu fou de douleur,
il décide d'éradiquer toute technologie occidentale de sa propriété.
Malheureusement la France veut y construire une voie de chemin de fer. Ce symbole
occidental du progrès, bouleversant les rites et coutumes, est une insulte
intolérable aux yeux du maître. Un duo musical poignant et mortifère
introduit une conclusion dramatique à ce récit digne des plus
belles histoires d'amour.
Le scénario est inspiré d'un roman de Nguyen Tuan, écrit
dans les années quarante, réédité à la fin
des années quatre-vingts, intitulé Choa Da' (La pagode Dan). Situations
et comportements des personnages permettent une réflexion sur le présent
de l'auteur. La muette du film est un personnage ajouté par rapport au
roman. Elle est exclue par son handicap physique de toute relation sentimentale
et par son rang social bas de la possibilité de s'élever dans
la société. Cependant, elle voit tout, entend tout, essaie de
manipuler les sentiments de son maître, mais est impuissante, elle ne
peut rien dire, ni accéder à la compréhension des autres.
La lutte du propriétaire contre la modernité est perdue d'avance.
Il ne ressuscitera pas sa fiancée, conduira son domaine à la ruine
en entraînant tous ses ouvriers dans la pauvreté, voire la mendicité.
Il pratique l'amour « déréliction » et égoïste;
son idéal vénéré (sa fiancée disparue qu'on
ne verra jamais à l'image) est irréel. Le joueur de luth exprime
quant à lui un amour sacrifice pour que l'autre survive.
PC