Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

ROCK ON THE HILL (THE)

publié le

Jazz, retour chatoyant d’un soprano jadis excentrique et postmoderne, sur un label français résistant et créatif : Nato.

 

Lol Coxhill est britannique, né en 1932, sa carrière solo démarre en 1962 et sa discographie est impressionnante : à la Médiathèque, autour de 140 références, dont 37 en tant que leader. Sa formation le prédispose à élargir les horizons. Doté d’un bagage théorique complet et d’un solide apprentissage « sur le tas » dans le rhythm and blues (avec Otis Spann, Alexis Korner), il fera se rencontrer, de multiples façons, l’héritage « blanc » et le « noir ». Le trait marquant de son parcours est effectivement la diversité des registres abordés. Il est prolixe sur le terrain des « reprises » et de la remise en cause des cultures reconnues - musiques de films, comédies hollywoodiennes, génériques de télévision, tout ce qui anime la culture populaire -, il s’implique dans la scène rock avant-gardiste (Henry Cow, mais aussi une figuration du côté des Damned !), c’est un acteur assidu des aventures du free (Derek Bailey, Evan Parker, Steve Lacy), il participe au Brotherhood of Breath, émergence explosive d’un jazz sud-africain et n’oublie pas de cultiver sa passion pour Sidney Bechet. Il sera l’une des figures de proue de la culture musicale postmoderne, signant des participations relevées à une série d’albums concepts du même nom (Postmodernisme) consacrées à la musique de Satie, aux chants de Noël, aux héros du journal de Spirou et à l’héritage, précisément, de Bechet, Vol pour Sidney. Pour autant, jamais il n’est surpris en position de grand écart : il rend ces répertoires proches les uns des autres, il fluidifie les frontières et fraye de nouveaux passages entre les genres, entre le « sérieux » et le « pas sérieux », il appelle ainsi à penser autrement la place de la musique dans la société.

lcCe n’est pas pour rien qu’il a été, dès 1980, en trio avec Raymond Boni et Maurice Horsthuis, un artisan du label résistant Nato. C’est ce label que Coxhill, au soprano, retrouve pour publier un nouvel album, en trio avec Barre Phillips et JT Bates. L’excentricité du musicien ne s’est pas assagie, mais adoucie, décantée. « Rivers Bend » est un plan horizontal, autour d’une ligne de flottaison vrombissante et abdominale que trace la contrebasse, élargissant peu à peu, par vagues, son amplitude hérissée. Le batteur tisse un filet de rythmes hétérogènes, décochant des entrechocs qui fusent de manière centripète. Le chant du soprano démultiplie un premier jet lumineux en un ruissellement singulier, de moins en moins canalisé entre ses rives, toute l’hydraulique magique d’un style que j’ai toujours perçu à la fois comme très figuratif, et abstrait : jeu de flux, énergies sèches ou humides qui irriguent ses idées musicales. Du blues sans en être. Dans « Scratch », la contrebasse ne rassemble pas, elle disperse, envoie valdinguer, pousse vers les tangentes, graves, sourdes, coups d’archet comme peaux de banane. La percussion développe son maillage éclectique et électrique et le saxophone dézingue sa matière en petites strates tranchantes, biseautées, perturbations chiffonnées et acerbes ou voltiges ralenties. « Ergo somme » démarre dans un débit lisse, une sorte de mélodie à contre-courant, aux dérapages presque imperceptibles. Le cheminement doigté du bassiste essaie de nouer le fil des souvenirs. Le saxophone prend la même phrase sous des angles différents, des tracés parallèles ou divergents, mais qui se complètent, se répondent et font ressortir leur incomplétude par rapport aux autres. Batterie et contrebasse passent au tamis l’espace-temps où le souffleur module ses trajectoires introspectives. Dans « The World in a Grain of Sand », tout est fait de petites bribes pliées sur elles-mêmes, de déplis et replis selon le souffle aspirant ou inspirant. Dans un tintamarre minuscule de rebonds de cordes et de ricochets métalliques. Griffures et rognures. Un monde de nervures fines, accidentées, reflétées en abîme. Nuage de cristaux et chapelets de poussières étoilées. Tout un grouillement vu/entendu de très loin, presque étouffé, par l’autre bout de la lorgnette. « Tarentelle for Nelly » déménage beaucoup plus, un ballet de trépignements et démangeaisons, basse et batterie distillent le suc de leurs piqûres. Folie urticaire, folie de l’âme. Des ébauches de musiques oubliées, fantomatiques, que le saxophone suspend dans le vide. Puis tout s’ordonne, va-et-vient métronomique de l’archet, une belle danse expiatoire se met en branle, par strates et enroulements, digressions et montées plus speed, dispersions vaporeuses et retours de fièvres, désordre et confusion libérée, désinhibée. Un joyeux bordel. Chaque composition est une page à lectures multiples tant ces trois écritures sont riches dans l’entrecroisement de leurs sens.

Pierre Hemptinne

 

index

 

Classé dans