ASCENSEUR POUR L'ÉCHAFAUD
Premier long métrage de fiction de Louis Malle en qualité de réalisateur, Ascenseur pour l’échafaud restera sans doute l’une de ses œuvres les plus marquantes. Si le film est indissociable de la musique composée pour l’occasion par Miles Davis, ce n’est là qu’une des composantes de son succès.
S’inspirant très largement du film noir américain, le réalisateur dépasse clairement les limites inhérentes au genre et profite de cette première occasion pour se livrer à un réel exercice de style. Même s’il ne s’est jamais revendiqué cinéaste de la Nouvelle Vague, son long métrage est sans doute l’un de ceux qui ont initié le mouvement; en effet, les ingrédient qui feront son succès (tournage en extérieur, caméra portée,…) sont ici bien présents. Très loin du polar français classique, cette fiction s'installe comme une lente et froide abstraction sur les thèmes de l'égarement et de la solitude que les choix esthétiques du réalisateur illustrent parfaitement.
Louis Malle met en parallèle deux couples d’amants dont l’un ne se trouvera réuni que le temps d’un cliché. La fatalité semble être le seul dénominateur commun entre tous ces personnages qui tentent d’échapper à leur destin ou à leur solitude. En vain.
Les compositions picturales d'Henri Decae s'affichent comme le pendant visuel des contrastes évidents à cette dualité qui traverse le film; celle entre les deux couples d'amants, l'un uni dans l'infortune, l'autre voué à ne jamais se croiser, celle entre Julien et Florence, le premier passant la majeure partie du film coincé dans la pénombre d'un ascenseur pendant que son amante déambule dans un Paris baigné d'une lumière aveugle.
Ascenseur pour l'échafaud se définit comme la somme de différentes composantes poussées à la limite de la perfection; de la musique lancinante de Miles Davis à la qualité de la photographie en passant par l'adaptation scénaristique – de Noël Calef, auteur du roman – sans oublier les acteurs au sommet de leur talent, chaque élément s’accorde pour donner au film cette atmosphère à la fois glacée et sensuelle qui a fait son succès.
Michaël Avenia
À la fin des années 50, le producteur Marcel Romano fit venir Miles Davis en Europe pour une tournée de trois semaines. L'idée était de produire dans la foulée un court métrage sur le jazz dont le génial trompettiste serait la vedette. Jean-Claude Rappeneau fut pressenti comme chef de l'équipe technique, mais le projet tomba à l'eau.
Néanmoins, Rappeneau travaillait alors sur un film policier réalisé par un jeune metteur en scène et proposa d'en confier la bande originale à Miles Davis. Celui-ci fut mis au courant dès sa sortie de l'avion et invité à une projection privée d'Ascenseur pour l'échafaud en présence du jeune Louis Malle.
Miles Davis (trompette), Barney Wilen (saxophone ténor), René Urtreger (piano), Pierre Michelot (contrebasse) et Kenny Clarke (batterie) entrèrent en studio le soir du 4 décembre 1957, après trois semaines de tournée à travers l'Europe. Ils furent chaleureusement accueillis par une partie de l'équipe du film, notamment Jeanne Moreaux dont la tâche consistait ce soir-là à servir à boire aux invités.
Immédiatement mis à l'aise par cet accueil décontracté et habitués à improviser les uns avec les autres, les musiciens ne mirent pas longtemps à trouver leurs marques, bien que Miles Davis ait été le seul à avoir visionné le film. Il ne donna néanmoins que des indications succinctes, privilégiant l'improvisation aux grandes lignes mélodiques et laissant de la place aux propositions de Louis Malle.
Ce dernier attendait de la musique qu'elle serve de contrepoint à l'image, ce qui explique que le réalisateur intégra certaines pistes à des séquences pour lesquelles Miles Davis avait composé une autre morceau – une façon de faire certes peu plaisante pour le compositeur, mais que de nombreux cinéastes pratiquent souvent avec succès.
À deux heures du matin, après seulement quatre heures d'enregistrement, la bande originale d'Ascenseur pour l'échafaud était dans la boite. Un classique du genre était né et vaudra a son compositeur le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros, contribuant largement au succès du film.
Catherine Thieron